La solution à deux états est un fantasme injuste et impossible

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par Tareq Baconi

Mr. Baconi est l’auteur de  « Hamas Contained » et préside le bureau de al-Shabaka, the Palestinian Policy Network.

 

 

Après 176 jours, l’attaque d’Israël contre Gaza ne s’est pas arrêtée et elle s’est étendue en ce que l’association Human Rights Watch a déclaré être une politique d’usage de la famine comme arme de guerre. Plus de 32 000 Palestiniens ont été tués et la communauté internationale est retombée dans son appel si familier pour une solution à deux États, dans laquelle Palestiniens et Israéliens peuvent coexister en paix et en sécurité. Le Président Biden a même déclaré : « la seule solution réelle est une solution à deux États » dans son allocution sur l’état de l’Union le mois dernier.

Mais l’appel sonne creux. Le langage qui entoure une solution à deux États a perdu toute signification. Au cours des années, j’ai rencontré beaucoup de diplomates occidentaux qui, en privé, levaient les yeux au ciel à la perspective de deux États — étant donné l’opposition farouche d’Israël, le peu d’intérêt de l’Occident à exercer assez de pression sur Israël pour qu’il change son comportement et l’ossification politique palestinienne — même si les politiciens répètent la phrase ad nauseam. Pourtant, dans l’ombre de ce que la Cour internationale de justice a déclaré être de manière plausible un génocide, chacun est retourné à ce refrain, en soulignant que la gravité de la situation signifie que maintenant tout sera différent.

Cela ne le sera pas. Répéter le mantra de la solution à deux États a permis aux décideurs d’éviter d’affronter la réalité que la partition est inaccessible dans le cas d’Israël et de la Palestine, et illégitime comme arrangement originalement imposé aux Palestiniens sans leur assentiment en 1947. Et, de manière fondamentale, le concept de la solution à deux États a évolué jusqu’à devenir un pilier central du maintien de la soumission palestinienne et de l’impunité israélienne.

L’idée de deux États comme voie vers la justice a en elle-même normalisé la violence quotidienne exercée contre les Palestiniens par le régime d’apartheid d’Israël.

Les circonstances auxquelles étaient confrontés les Palestiniens avant le 7 octobre 2023 ont illustré à quel point le statu quo était devenu mortel. En 2022, la violence israélienne a tué au moins 34 enfants palestiniens en Cisjordanie, le nombre le plus élevé en 15 ans, et à la mi-2023, le taux des morts était déjà bien parti pour excéder ce niveau. Pourtant le gouvernement Biden trouvait encore approprié de légitimer davantage Israël, en étendant ses relations diplomatiques dans la région et en le récompensant d’une dispense de visa pour les États-Unis. La Palestine était en grande partie absente de l’agenda international jusqu’à ce que des juifs israéliens soient tués le 7 octobre. Le fait qu’Israël et ses alliés étaient mal préparés pour n’importe quelle sorte de défi à la domination israélienne souligne seulement à quel point les Palestiniens étaient invisibles et à quel point, pour la scène internationale, leur oppression semblait être facile à maintenir.

Ce moment de rupture historique offre la preuve maculée de sang que ces politiques ont échoué jusqu’à maintenant ; pourtant les pays cherchent à les ressusciter malgré tout. Au lieu de prendre des mesures montrant un engagement sincère pour la paix — comme de faire pression de manière significative sur Israël pour qu’il cesse les constructions dans les colonies et lève le blocus sur Gaza ou comme d’interrompre le coûteux soutien militaire de l’Amérique— Washington fait exactement le contraire. Les États-Unis ont agressivement brandi leur usage du veto au Conseil de sécurité des Nations Unies, et même quand ils se sont abstenus, comme ils l’ont fait lors du vote récent conduisant à la première résolution en faveur d’un cessez-le-feu depuis le 7 octobre, ils affirment que de telles résolutions ne sont pas contraignantes. Les États-Unis subventionnent l’armée israélienne tout en supprimant leur financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies, une institution cruciale pour les Palestiniens, en renforçant l’Autorité palestinienne, profondément impopulaire et illégitime et que beaucoup de Palestiniens considèrent maintenant comme un sous-traitant de l’occupation et en subvertissant le droit international par des limitations des moyens pour faire rendre des comptes à Israël. De fait, leurs actions sauvegardent l’impunité israélienne.

La vacuité du mantra de la solution à deux États est encore plus évidente dans la manière dont les décideurs parlent souvent de reconnaître un État palestinien sans discuter de la fin de l’occupation par Israël du territoire palestinien. Bien au contraire : selon les informations recueillies, tout en explorant les initiatives pour reconnaître un statut d’État à la Palestine, les États-Unis défendent simultanément l’occupation prolongée d’Israël à la Cour internationale de justice, arguant qu’Israël est confronté à des « besoins de sécurité très réels » qui justifient le maintien de son contrôle sur les territoires palestiniens.

Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette apparente contradiction ?

Le concept de la partition a depuis longtemps été utilisé comme un outil politique brutal des puissances coloniales pour gérer les affaires de leurs colonies et la Palestine ne fait pas exception. Le mouvement sioniste a émergé pendant l’ère du colonialisme européen et a reçu son plus important imprimatur de l’Empire britannique. La Déclaration Balfour, émise par les Britanniques en 1917, appelait à « un foyer national pour le peuple juif » en Palestine sans rendre compte adéquatement des Palestiniens qui constituaient la vaste majorité dans la région et auxquels Balfour se référait simplement comme à des « communautés non-juives ». Cette déclaration a ensuite été imposée aux Palestiniens qui en 1922 étaient devenus des sujets colonisés de la Grande-Bretagne et n’ont pas été appelés à donner leur consentement à la partition de leur patrie. Trois décennies plus tard, les Nations Unies ont institutionnalisé la partition avec l’adoption du plan de 1947, qui appelait à une séparation du territoire de la Palestine en deux États, un arabe palestinien et l’autre juif.

 

Tous les pays voisins de la Palestine au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qui avaient gagné leur indépendance de leurs dirigeants coloniaux et qui avaient rejoint les Nations Unies, ont voté contre le plan de 1947. Les Palestiniens n’ont pas été formellement pris en compte dans un vote que beaucoup ont considéré comme illégitime ; ce vote découpait leur patrie pour héberger l’immigration sioniste, à laquelle ils avaient résisté dès le départ. L’Organisation de libération de la Palestine, établie plus d’une décennie plus tard, a formalisé cette opposition, insistant sur le fait que la Palestine, telle qu’elle était définie dans les frontières qui existaient pendant le Mandat britannique, était « une unité territoriale indivisible » : elle a refusé énergiquement les deux États et à la fin des années 1970 a lutté pour un État laïc et démocratique. Dans les années 1980, cependant, le dirigeant de l’OLP, Yasir Arafat, ainsi que la plus grande partie de la direction de l’organisation, en est venu à accepter la partition comme un choix pragmatique, et beaucoup de Palestiniens qui, alors, avaient été broyés par la machinerie de l’occupation l’ont acceptée comme un moyen de réaliser une séparation d’avec les colons israéliens et la création de leur propre État.

Il a fallu plus de trois décennies pour que les Palestiniens comprennent que la séparation ne viendrait jamais, que le but de cette politique était de maintenir indéfiniment l’illusion d’une partition dans un avenir lointain. Dans cette zone floue, la violence expansionniste d’Israël a augmenté et est devenue plus directe, les dirigeants israéliens devenant plus impudents dans leur engagement à un contrôle total du Jourdain à la Méditerranée. Israël s’est aussi appuyé sur des dirigeants palestiniens discrédités pour maintenir leur contrôle — en premier lieu, ceux qui dirigent l’Autorité palestinienne et qui collaborent avec les machinations d’Israël et se contentent de Bantoustans sans souveraineté, sans contiguïté, qui ne remettent pas en cause la domination globale d’Israël. Cette sorte d’ingénierie démographique, qui comporte l’isolation géographique de populations indésirables derrière des murs, est centrale pour les régimes d’apartheid. Répéter l’aspiration à deux États et arguer que la partition reste viable présente Israël comme un État juif et démocratique — séparé de son occupation —, lui donnant un vernis d’acceptabilité et obscurcissant la réalité, à savoir qu’il gouverne plus de non-juifs que de juifs.

Vues sous cet éclairage, les tentatives ratées d’une solution à deux États ne sont pas du tout un échec pour Israël, mais un succès retentissant, car elles ont fortifié l’emprise d’Israël sur ce territoire pendant que les négociations de paix continuaient avec des hauts et des bas, mais n’étaient jamais conclues. Dans les dernières années, des organisations internationales et israéliennes de défense des droits ont reconnu ce que beaucoup de Palestiniens avaient soutenu depuis longtemps : qu’Israël est coupable d’un apartheid. B’Tselem, la principale organisation de défense des droits humains d’Israël, a conclu qu’Israël est un unique régime de suprématie juive du fleuve à la mer.

 

Maintenant, avec l’attention internationale une fois encore focalisée sur la région, beaucoup de Palestiniens comprennent les dangers de discuter d’une partition, même comme option pragmatique. Beaucoup refusent de ressusciter ce discours politique vide de sens. Dans un message récemment publié anonymement, un groupe de Palestiniens sur le terrain et dans la diaspora ont écrit : «  La partition de la Palestine n’est rien d’autre qu’une légitimation du sionisme, une trahison de notre peuple et la réalisation finale de la Nakba », la catastrophe, faisant référence à l’expulsion et à la fuite de 750 000 Palestiniens lors de la fondation d’Israël. «  Notre libération ne peut être réalisée qu’avec l’unité de la lutte, construite sur une unité des personnes et une unité des territoires ».

Pour eux, l’État palestinien que leurs dirigeants ineptes continuent à colporter, même s’il était réalisable, échouerait à défaire la réalité que les réfugiés palestiniens ne peuvent pas retourner dans leurs foyers, maintenant en Israël, et que les citoyens palestiniens d’Israël continueraient à résider comme citoyens de deuxième classe à l’intérieur d’un soi-disant État juif.

Les puissances mondiales pourraient choisir d’ignorer ce sentiment comme étant irréaliste, s’ils en prennent même bonne note. Elles pourraient aussi choisir d’ignorer le rejet par Israël de la solution à deux États, alors que les dirigeants israéliens renoncent à tout semblant et s’opposent explicitement à tout cheminement vers un statut d’État palestinien. Très récemment encore, en janvier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a dit qu’Israël « doit avoir un contrôle sécuritaire sur l’ensemble du territoire à l’ouest du Jourdain ». Il a ajouté : « Cela se heurte à l’idée de souveraineté. Que pouvons-nous faire ? ».

Et pourtant, la solution à deux États continue à être au premier plan pour les décideurs politiques qui ont recommencé à tordre la réalité d’un régime expansionniste en une prescription politique à laquelle ils peuvent se raccrocher. Ils font le tour des dispositions possibles : que l’État palestinien doit être démilitarisé, qu’Israël maintiendra une supervision de la sécurité, que tous les États du monde n’ont pas le même niveau de souveraineté. C’est comme regarder un siècle d’échecs, culminant dans la catastrophe du processus de paix, en train de se rejouer dans les cinq derniers mois.

Ce ne sera pas la première fois que les demandes palestiniennes ne sont pas prises en compte alors que leur propre avenir est concerné. Mais tous les décideurs devraient tenir compte de la leçon du 7 octobre : il n’y aura ni paix ni justice tant que les Palestiniens seront assujettis entre des murs et sous domination israélienne.

Un seul État du fleuve à la mer pourrait apparaître irréaliste ou illusoire ou une recette pour de nouveaux bains de sang. Mais c’est le seul État qui existe dans le monde réel — pas dans les fantasmes des décideurs politiques. La question, alors, est celle-ci : comment peut-il être transformé en un État juste ?

 

 

Trad. CG pour BDS -Montpellier

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