Montpellier – 1er mai 2O23

Par Ramzy Baroud

Une nouvelle ère s’ouvre en Palestine. Elle se dessine sous nos yeux, grâce au sang, aux larmes et aux sacrifices d’une génération courageuse qui se bat sur deux fronts : d’une part contre l’occupation militaire israélienne, et d’autre part contre les Palestiniens collaborateurs qui se font passer pour des « dirigeants ».

Mais comment réagissons-nous, dans les mouvements de solidarité avec la Palestine du monde entier, aux changements en cours, au nouveau langage et à la nouvelle unité – wihdat al-Sahat – qui redonne vie au corps politique palestinien ?

Pour commencer, je pense que nous devons insister sur la centralité de la voix palestinienne dans toute action de solidarité relative à la liberté palestinienne, où que ce soit.

Il ne s’agit pas de n’importe quelle « voix palestinienne », mais uniquement des voix qui incarnent et expriment véritablement les aspirations du peuple palestinien, des voix qui n’usent pas du vocabulaire factionnel ou qui ne représentent pas des classes puissantes ayant des intérêts financiers ou autres.

De plus, les groupes de solidarité, en particulier en Occident, doivent éviter de mobiliser leur énergie à répondre à des campagnes de diffamation ou à s’engager dans des « dialogues » biaisés sur les relations multiconfessionnelles, le racisme et l’antisémitisme.

Ces questions ne peuvent pas être au centre des débats sur la Palestine ou le mouvement de solidarité. De nombreuses expériences dans le passé nous ont appris que consacrer l’essentiel de notre énergie à lutter contre les campagnes de diffamation revient à mener une bataille perdue d’avance, qui n’aura finalement que peu d’impact sur la sensibilisation à la lutte pour la justice en Palestine elle-même, ou sur la défense de la cause palestinienne.

En effet, la principale tâche du mouvement de soutien est justement cela : la solidarité, qui consiste à adopter et à défendre des positions morales dans l’espoir d’obtenir des changements politiques futurs en faveur des peuples opprimés et/ou en quête de liberté en Palestine et partout ailleurs où des injustices sont constatées.

Nous devons nous rappeler que la solidarité ne consiste pas à parler au nom de qui que ce soit… Il s’agit plutôt de créer des espaces et des plateformes, et de savoir se situer dans les marges qui permettent à d’autres de représenter leurs propres luttes, tout en restituant et en défendant ces positions dans nos propres contextes locaux et nationaux.

En d’autres termes, le militantisme solidaire est la localisation des luttes internationales.

Il s’agit de faire notre part pour que nos représentants locaux, les parlements régionaux et nationaux et, en fin de compte, les gouvernements nationaux modifient leur position et cessent de soutenir le régime d’apartheid d’Israël en Palestine occupée pour adopter des positions cohérentes, en partie ou en totalité, avec les aspirations du peuple palestinien.

La manière d’y parvenir diffère d’un contexte politique et social à l’autre. Les militants au niveau local doivent évaluer leur propre environnement et leurs possibilités, et prendre cette décision pour eux-mêmes.

Je pense que le fondement de toute campagne de mobilisation ou d’information réussie doit toujours être l’élargissement des cercles de solidarité aux syndicats de travailleurs, aux groupes d’étudiants et aux organisations religieuses, ainsi qu’aux personnes de tous horizons et de toutes origines prêtes à servir collectivement de base solide pour un engagement politique efficace.

En outre, pour qu’une solidarité organisée et efficace puisse s’épanouir, les militants doivent éviter de porter des jugements et de faire dépendre leur prise position au type de lutte collective ou de résistance choisi par le peuple palestinien.

En d’autres termes, la solidarité ne peut être conditionnelle. En fait, cela est plus un problème en Occident que dans l’hémisphère Sud, car ce dernier a beaucoup en commun avec les Palestiniens en termes de luttes anticoloniales et anti-apartheid partagées.

Les militants de la solidarité dans le Sud peuvent même influencer les Palestiniens en termes de choix tactiques.

Cependant, les Occidentaux, dont beaucoup sont des bénéficiaires directs du colonialisme, de l’impérialisme et de l’apartheid, doivent simplement assumer la responsabilité de ce passé sordide, en demandant à leurs gouvernements de rendre des comptes sur le présent.

Les crimes du passé ne peuvent être effacés d’un revers de main, et leur impact néfaste peut être encore et toujours questionné – et même des torts redressés – grâce à des efforts concertés.

Nous devons nous garder du militantisme égoïste. Certains, même au sein de la communauté palestinienne, tentent d’exploiter la solidarité internationale à des fins politiques, de rivalité entre factions, etc…

Pour éviter cela, les groupes de solidarité doivent adhérer à un certain degré de processus démocratiques, afin de libérer nos mouvements de l’influence d’individus aux objectifs très personnels, et d’accentuer le rôle du collectif.

Toutes les boussoles de la solidarité doivent pointer constamment et directement vers la lutte collective du peuple palestinien en Palestine et des communautés de réfugiés palestiniens partout ailleurs dans le monde.

La convergence des luttes est essentielle. Elle peut être une stratégie gagnante si elle est exploitée correctement.

Bien sûr, la moralité est au cœur de la solidarité dite intersectionnelle, mais nous devons veiller à ne pas insister pour imposer aux autres uniquement nos valeurs morales – qui sont motivées par des priorités et des expériences culturelles, politiques, sociales, historiques et même religieuses distinctes – si nous voulons vraiment mettre sur pied un mouvement mondial pour la Palestine.

Par exemple, étant donné que la politique identitaire n’était pas aussi prédominante dans le passé qu’elle ne l’est aujourd’hui, les luttes convergentes passées pour la libération de nombreux pays du Sud – principalement parmi les nations du Sud – n’ont pas fixé de conditions préalables selon lesquelles toutes ces nations devaient adhérer, par exemple, à un code social acceptable pour tous.

La Palestine ne doit pas être soumise à une quelconque pression sur la conformité globale à un seul ensemble d’idées, d’idéologies ou d’auto-définitions.

Le succès récent du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) peut être attribué, en partie, à son attrait en tant que mouvement mondial défendant les droits de l’homme fondamentaux et universels tels que l’égalité, la liberté et la justice pour tous les Palestiniens.

Il y est parvenu en adaptant ses messages et son langage à des cadres de référence historiques, politiques et même sociaux dans de nombreux contextes.

Enfin, nous sommes à l’aube d’une transition majeure en Palestine ; une nouvelle génération tente de prendre la tête de la cause palestinienne. Cette génération de combattants à gagné ce droit grâce à ses sacrifices, son courage et son action unitaire.

Nous devons faire le bon choix en nous joignant à eux et en abandonnant les vieilles références éculées et clichées d’une époque révolue, celle d’Oslo, du prétendu « processus de paix » et du reste.

C’est ainsi que la solidarité peut imposer des idées bien intentionnées et moralement motivées et faire une différence tangible sur le terrain. Tous les courants de cette réussite finiront par se fondre en un seul flot impétueux, créant le changement de paradigme pour lequel nous nous battons depuis longtemps et que nous attendons si impatiemment.