Lettre ouverte à l’istitut du monde Arabe (IMA) par Sion Assidon (BDS Maroc)

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Après « Chrétiens d’Orient », cette fois-ci c’est « Juifs d’Orient » : l’IMA peut-t-elle échapper à l’exploitation éhontée de son exposition ?

 

Casablanca, 6 décembre 2016

Il y a quelques années, l’IMA avait organisé, une exposition sous l’intitulé « Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire ». Et depuis le 24 Novembre c’est : « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire ». L’Orient, il faut évidemment comprendre l’univers de l’Islam, et, au premier chef, c’est, en parlant du passé, du destin de la région maghrébine et arabe dont il est question.

Fortes de leurs diversités respectives, chacune des deux religions monothéistes ne sauraient renvoyer, respectivement, à un pôle unique : les communautés chrétiennes et les communautés juives de cette région, dans leur extrême diversité, ont constitué – tout au long d’un processus aux mille facettes – des composantes très importantes des cultures et des civilisations arabo/turco/irano/…-musulmanes, les enrichissant et s’en nourrissant tout au long d’une histoire pluri-centenaire.

L’ambition de refléter ce tableau chatoyant serait, en ces temps de replis identitaires, une aspiration louable,… à condition qu’elle arrive à se libérer des desseins inavouables des politiques des puissances qui dominent la région…

Car si on écoute Edward Said, lorsqu’on tient un discours sur l’« Orient », c’est des représentations sur la base desquelles s‘élaborent et se justifient les politiques de domination des puissances dites occidentales que l’on parle.

Il ne faut donc pas perdre de vue que se greffent aux ambitions muséographiques des politiques qui doivent être déchiffrés à la lumière de la conjoncture.

Ecoutons Denis Charbit, un des organisateurs de l’exposition « Juifs d’Orient », qui donne très crument le ton : « cette exposition c’est certainement peut-être (sic) le premier fruit de accords d’Abraham. C’est-à-dire que : on commence par la normalisation […] »

« Accords d’Abraham », normalisation sont bien dans l’air du temps. Qu’est-ce à dire ? Un exemple concret immédiat….

Le hasard du calendrier veut que l’exposition (« Juifs d’Orient ») s’ouvre le jour même où Benny Gantz, ministre israélien en charge de la guerre, arrive au Maroc, presque un an après un premier accord de normalisation, et signe un pacte dont on ne connait aucun précédent dans la région.

Même les régimes d’Egypte et de Jordanie qui sont les premiers à avoir signé des traités de « paix » avec le régime d’apartheid et de colonisation de peuplement qui opprime les Palestiniens ne se sont pas aventurés aussi loin dans leurs relations avec l’occupant : depuis le 24 Novembre, l’Etat du Maroc et son armée se sont embarqués dans un axe militaire stratégique régi par la règle habituelle : c’est l’Etat dont la puissance militaire est la plus forte qui est aux commandes – dans ce cas Israël. Cela sous le parapluie américain, bien sûr {NOTE : le Maroc a renouvelé des accords militaires d’une durée de 10 ans avec les USA en Octobre 2020, tout juste deux mois avant de signer l’accord de normalisation}.

Novembre 2021 : nouvel accord Maroc/Israël sous les étiquettes de ‘transfert de technologie’, ‘vente d’armes’, ‘coopération sécuritaire’…. Le degré zéro de la normalisation, le 22 Décembre 2020, c’était déjà l’abandon de tout semblant de solidarité avec les aspirations du peuple palestinien à la liberté et à la libération. Mais le stade suprême de la normalisation c’est cela : faire des états de la région des auxiliaires du gendarme chargé de ce que ne peuvent pas faire directement les Etats-Unis, trop préoccupés sur d’autres terrains (Europe de l’Est, Mer de Chine,…), à un moment où la super-puissance régionale aura de plus en plus de mal à assurer son rôle.

Donc lorsqu’on inscrit une exposition sous les auspices des « accords d’Abraham » et de la normalisation – celles des relations d’Israël avec les Etats de la région -, c’est de cela qu’il est question, donc ni des droits de peuples, ni d’une paix juste, ni d’un véritable dialogue inter-religieux. Et, en particulier, il n’est nullement question du peuple palestinien et de ses droits nationaux et humains fondamentaux dont la réalisation est la clé de voute de la paix dans la région.

La place accordée dans cette manifestation aux occupants de la Palestine, aux tenants d’une entreprise coloniale (en cours d’expansion en plein XXIème siècle !), et basée sur l’apartheid et l’épuration ethnique, est intolérable. Forts du pillage de l’héritage historique de diverses communautés juives de la région, ils en rapportent quelques fruits pour se présenter en légataires légitimes de ces « Juifs d’Orient » qu’ils ont toujours traités avec le plus grand mépris.

Donc la réponse à la question d’ouverture est : non. L’IMA n’échappe pas à l’exploitation éhontée de son exposition.

Plus grave, la participation des artistes et intellectuels fascinés par les feux d’une rampe prestigieuse et qui refusent de voir la réalité de l’entreprise dans laquelle ils s’engagent;

Sion ASSIDON, activiste des droits humains dans le cadre de BDS Maroc , et dans le Front Marocain pour le Soutien à la Palestine et contre la Normalisation.

 

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