Comment la pastèque est devenue un symbole de la résistance palestinienne

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Œuvre de Khaled Hourani « Les Couleurs du Drapeau Palestinien » présentée au Centre des Arts Contemporains de Glasgow en 2014. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Alors qu’on ne peut vérifier les origines de cette histoire, ce fruit a pris une nouvelle signification sur les réseaux sociaux

 

Alexandra Chaves

le 30 mai 2021

Rouge, noir blanc et vert – les couleurs du drapeau palestinien… et des pastèques. Après la guerre arabo-israélienne de 1967, Israël a interdit la présentation du drapeau palestinien et de ses couleurs à Gaza et en Cisjordanie, et on dit que l’armée israélienne a arrêté ou harcelé quiconque a essayé de les présenter. En forme de protestation, se poursuit l’histoire, les militants portaient à la place des tranches de pastèque.

L’histoire est devenue une sorte de mythe contemporain, qui a récemment proliféré sur les réseaux sociaux, ses véritables origines enfouies dans diverses redites et rediffusions.

Aussi loin que remontent les faits, un ordre militaire des forces israéliennes avait interdit le droit de se rassembler ou de publier en lien avec des questions politiques ou de ce qui pouvait être interprété comme étant politique, y compris le port de symboles nationaux.

Un rapport du New York Times d’octobre 1993, des semaines après la signature des Accords d’Oslo entre Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine – qui a donné naissance à l’Autorité Palestinienne et a par ailleurs levé l’interdiction du drapeau – fait brièvement référence à des arrestations en lien avec le fait de porter ce fruit.

« Dans la Bande de Gaza, où des jeunes gens ont un jour été arrêtés parce qu’ils portaient des pastèques coupées en tranches – présentant ainsi les couleurs palestiniennes, rouge, noir et vert – les soldats se tenaient là, blasés, alors que les processions avançaient en agitant le drapeau autrefois interdit », raconte le rapport. Le journal a ensuite retiré ce détail, déclarant qu’il ne pouvait pas confirmer l’incident de la pastèque.

Une autre histoire implique les artistes Sliman Mansour, Nabil Anani et Issam Badr, dont l’exposition de 1980 à la Galerie 79 a été fermée par l’armée israélienne parce que les œuvres avaient été jugées politiques et présentaient le drapeau palestinien et ses couleurs. Face à l’officier, Badr demanda : « Que se passera-t-il si je veux simplement peindre une pastèque ? », ce à quoi il répliqua : « Elle serait confisquée. »

Mansour, maintenant septuagénaire et qui vit à Birzeit, se souvient de l’incident, mais a éclairci quelques détails pour The National. Il se souvient que l’exposition de la Galerie 79 n’a été ouverte que trois heures avant que les soldats vident les locaux et les ferment à clef. Quinze jours plus tard, les officiers israéliens ont convoqué les trois artistes, les avertissant qu’ils devaient cesser de produire des peintures politiques, et peut-être à la place peindre des fleurs.

« Ils nous ont dit que peindre le drapeau palestinien était interdit, mais que ses couleurs étaient également interdites. Alors Issam a dit : ‘Que se passerait-il si je peignais une fleur en rouge, vert, noir et blanc ?’, ce à quoi l’officier a répliqué en colère : ‘Elle sera confisquée. Même si vous peignez une pastèque, elle sera confisquée.’ Ainsi la pastèque a été mentionnée, mais par l’officier israélien », explique Mansour.

Il ne se souvient pas d’artistes utilisant durant cette période la pastèque en tant que motif politique dans leurs œuvres.

Bisan Arafat (@beesanarafat sur Instagram), artiste jordano-palestinien en Angleterre, peint une tranche de pastèque sur une assiette d’Hébron. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

 

D’une certaine façon, la véracité de ces histoires est maintenant secondaire, puisque les artistes ont adopté ce fruit comme un symbole du combat des Palestiniens.

Comme premier exemple, on peut remonter à Khaled Hourani, qui avait entendu une version de l’histoire de Mansour et avait peint une tranche de pastèque pour le projet d’Atlas Subjectif de Palestine en 2007. Son œuvre a ensuite voyagé à travers le monde, dont l’Écosse, la France, la Jordanie, le Liban et l’Égypte. Hourani a aussi organisé des ateliers d’art centrés sur le travail dans les écoles de Ramallah.

Ces dernières semaines, à la suite de la destruction et de la mort à Gaza, le soutien en ligne à la Palestine a amplifié les échanges sur les droits des Palestiniens et les décennies d’occupation israélienne. Parallèlement à l’essor des campagnes en ligne, l’œuvre d’Hourani a reçu une attention renouvelée, dont il dit qu’elle est accablante, avec le déversement de centaines de messages.

L’artiste Khaled Hourani a utilisé pour la première fois la pastèque dans son œuvre pour le Projet d’Atlas de Palestine en 2007. Khaled Hourani

 

« Pour moi, ce fut un peu inattendu. Ce n’est qu’un de mes projets, qui n’a pas eu autant de succès ou de popularité que maintenant », dit-il. « C’est un cas unique de solidarité… C’est très puissant. Honnêtement, je ne sais pas comment faire avec. Certaines personnes l’utilisent en tatouage, d’autres en font des motifs pour des vêtements, le mettant sur des drapeaux, différents supports. Je suis heureux qu’il attire l’attention sur la cause palestinienne. »

Sarah Hatahet, illustratrice jordanienne qui vit à Abu Dhabi, a créé sa propre représentation de la pastèque après avoir croisé celle d’Hourani sur les réseaux sociaux. D’autres, tel Sami Boukhari, qui vit à Jaffa, Aya Mobaydeen à Amman, Bisan Arafat en Angleterre, ont eux aussi travaillé sur le thème de la pastèque et partagé leur travail sur les réseaux sociaux.

Hourani décrit le soutien en ligne à la Palestine, particulièrement de la part des jeunes générations, comme recelant une sort de « magie ».

« Autour du monde, des gens se dressent et disent que l’occupation doit prendre fin. C’est un moment historique. En tant qu’artiste, en tant qu’être humain, je me sens honoré de voir mon œuvre utilisée comme un outil ou faire partie de cette force motrice », dit-il.

‘Résistance de la Pastèque’ de l’artiste jordanienne Sarah Hatayet.

 

La résistance par l’art a une longue histoire en Palestine, mais les attaques sur la culture palestinienne aussi – non seulement sous forme de censure, telle que l’interdiction des symboles nationaux, mais aussi d’exemples plus graves de fermetures, confiscations, arrestations et destruction de biens.

Même dans l’incident de la Galerie 79 raconté par Mansour, il se souvient que deux tableaux avaient disparu le temps que les officiers israéliens autorisent les artistes à revenir dans les lieux et l’exposition n’a jamais rouvert.

Un exemple très récent, c’est le raid sur Dar Yusuf Nasri Jacir pour l’Art et la Recherche, ou Dar Jacir, à Bethléem.

« Dans les années 1970, plusieurs centres artistiques de Ramallah ont également été détruits par les forces israéliennes », dit l’historienne d’art Salwa Mikdadi. « Ce qu’ils ont fait à Dar Jacir n’est pas nouveau. Cela a été répété encore et encore. »

Mikdadi, qui a été la conservatrice de plusieurs expositions, dont la première exposition à la Biennale de Venise en 2009, enseigne à l’Université de New York à Abu Dhabi et a énormément écrit sur l’art arabe et palestinien.

Elle dit que le ciblage d’artistes et de lieux culturels est une tactique utilisée par les forces d’occupation pour effacer l’identité.

« Clairement, ils voulaient déshumaniser les Palestiniens, en faire un peuple sans culture, sans passé. C’est une riche culture qui remonte à des siècles. Alors, pour eux, la culture est un outil très dangereux dans les mains des Palestiniens. C’est un support qui s’est révélé être bien plus efficace que les politiques dans la façon dont il provoque des changements dans le public du monde entier. »

Mansour a un sentiment similaire. « Certaines personnes nient même notre existence, nient la culture et l’identité palestiniennes, et l‘art combat cela. Il offre un abri aux sans-abri », dit-elle.

L’œuvre de l’artiste, Telle que le tableau de 1973 Chameau de Misère est l’un des plus identifiable de l’art arabe, parallèlement aux peintures de paysans et de femmes en robe traditionnelle.

Pendant la Première Intifada, Mansour et d’autres artistes ont conduit le mouvement Nouvelle Vision, qui a défendu l’idée d’autonomie.

« La principale idée de la Première Intifada a été de boycotter les produits israéliens et de compter sur nous mêmes », dit-il. « Les gens cultivaient des légumes dans leur jardin afin de ne rien acheter d’israélien. Nous pensions : ‘Pourquoi ne faisons nous pas la même chose en tant qu’artistes ? Pourquoi devrions nous acheter de la peinture dans des boutiques israéliennes puis nous en servir pour peindre contre eux ? »

Il s’est tourné vers des matériaux comme la boue et la paille, rejoint par des artistes tels que Nabi Anani et Taysir Barakat, qui ont utilisé du henné, des teintures végétales et autres matériaux naturels.

« Femme Cueillant des Olives » par l’artiste palestinien Sliman Mansour. Avec l’aimable autorisation de la Galerie Zawyeh

 

Aujourd’hui, malgré la dépossession et la destruction, un petit fragment de progrès réside peut-être dans une conversation mondiale renouvelée au sujet de l’occupation, et le soutien croissant à la Palestine exprimé par les institutions culturelles à travers le monde.

On y trouve un appel à la solidarité avec la Palestine par The Mosaic Rooms à Londres, signé par des artistes et des organisations, ainsi que la campagne continue Les Arts Visuels pour la Palestine.

Mardi, l’Association Internationale des Biennales, pour laquelle le bureau des directeurs comporte des dirigeants essentiels de la Biennale de Sharjah, de la Biennale d’Istanbul, de la Biennale de Berlin, de la Fondation de la Biennale de Kahi, et de la Fondation de la Biennale de Gwangju, a également émis une déclaration de soutien.

« Les réseaux sociaux ont eu un impact très fort, bien plus que lorsque les communications étaient contrôlées par l’occupant. Maintenant, ils ne les contrôlent plus », explique Mikdadi.

« Avant, la voix des Palestiniens était pour ainsi dire toujours inaudible. Elle était interprétée par des correspondants et des journalistes. Maintenant, il s’agit d’une communication directe, et la vitesse à laquelle ces messages sont distribués à travers le monde est phénoménale. C’est extraordinaire pour nous qui avons vécu aux époques précédentes…

« Le monde est tellement interconnecté maintenant, les gens peuvent voir par eux mêmes ce qui se passe. »

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine et Campagne BDS France Montpellier

Source : The National

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