Exploiter les renseignements en libre accès pour la libération des Palestiniens

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Tariq Kenney-Shawa  9 mai 2023

RÉSUMÉ

Les informations open-source changent la façon dont l’information est partagée à travers le monde. Tandis qu’elle passe de plus en plus pour un moyen de montrer les crimes de guerre et les violations des droits humains, elle est aussi utilisée comme outil de renforcement de l’oppression étatique. Dans cette note de politique, Tariq Kenney-Shawa, consultant en politique étatsunienne, examine une technologie qui révolutionne la circulation de l’information et énonce des recommandations sur la façon de l’exploiter pour la libération palestinienne.

Aperçu

L’information open-source (OSINT) révolutionne le flux d’information dans le monde. À travers un processus de collecte, d’analyse et de partage de contenus accessibles au public, dont des vidéos de téléphones portables, des posts sur les réseaux sociaux et des images satellites, les analystes d’OSINT manifestent une intelligence critique naguère monopolisée par les autorités étatiques.

De la Syrie  à l’Ukraine, l’OSINT est utilisée pour dévoiler des crimes de guerre et des violations de droits humains qui, sans cela, pourraient demeurer dans l’ombre. Dans le contexte du déclin de la confiance dans les médias et les institutions gouvernementales, parallèlement à la menace croissante de mésinformation et de désinformation, l’OSINT s’affirme comme outil d’une valeur croissante pour faciliter la transparence et l’objectivité.

 

Pour autant, en dépit d’opportunités ostensiblement accessibles et démocratisées qu’offre OSINT au partage de l’information, les bénéfices de cette activité en plein essor n’ont pas le même effet sur tout le monde. Pour les Palestiniens, la montée d’OSINT a eu un coût. Cette note de politique place la lutte de libération des Palestiniens dans le contexte de la croissance d’OSINT à l’échelle mondiale. Ce faisant, elle explique comment l’OSINT a eu un effet levier à la fois comme outil de libération pour tenir Israël responsable de ses crimes de guerre et de ses violations des droits humains et comme moyen de poursuivre l’oppression par la promotion de faux narratifs israéliens. Tandis que les innovations de l’âge numérique ont mis en avant la violence d’État, ces technologies ont aussi été cooptées par ces mêmes forces de répression. Cette note de politique recommande plusieurs étapes dans lesquelles les Palestiniens, leur direction et leurs alliés devraient s’engager de manière à exploiter le potentiel d’OSINT comme outil de libération et atténuer les risques présentés par ceux qui sont déterminés à en faire des armes.

 

Les origines historiques d’OSINT à l’échelle mondiale

 

Si l’OSINT a atteint de nouveaux sommets dans l’ère du numérique en évolution rapide, le phénomène n’est pas récent. Dans les suites de l’attaque du Japon en 1941 à Pearl Harbor, les USA ont créé l’Office de Services Stratégiques (OSS) pour stimuler la collecte traditionnelle de renseignements. À l’époque, le procédé OSINT ressemblait à ce que nous voyons aujourd’hui, bien que beaucoup plus laborieux. Les analystes d’OSS fouillaient méticuleusement des coupures de presse et les recouvraient d’images granuleuses de formations ennemies à la recherche de renseignements cruciaux. Tandis qu’OSINT a laissé place à des services de renseignement plus grand public, ce service n’a pas cessé de fournir des moyens d’accès à la découverte et au partage d’informations généralement considérées hors d’atteinte pour le public.

 

C’est la naissance du journalisme citoyen et la génération des réseaux sociaux – avec la Révolution Verte de l’Iran en 2009 et les soulèvements de 2011 au Moyen Orient et en Afrique du Nord – qui ont ramené OSINT au premier plan. Tandis que les manifestants descendaient dans les rues de la région, des millions de gens avaient recours aux réseaux sociaux pour s’organiser et les analystes d’OSINT ainsi que des journalistes citoyens faisaient des reportages radio pour le monde entier. De même, lorsque les soulèvements ont été réprimés par des États autoritaires tels la Syrie et la Lybie, le flux constant de photos, de vidéos et d’images satellites a permis des mises à jour issues du terrain, presque en temps réel.

 

OSINT a, depuis, démontré sa valeur dans des investigations partout dans le monde. Bellingcat, un collectif de chercheurs indépendants et de journalistes citoyens, a mis en avant le rôle de la Russie dans l’écrasement du vol MH17 de la Malaysian Airlines sur le sol de l’Ukraine en 2014, en analysant des enregistrements d’appels, ce qui a permis l’identification de séparatistes appuyés par la Russie. En 2017, Human Rights Watch a utilisé des images satellites pour documenter le nettoyage ethnique  au Myanmar. Plus récemment, l’équipe d’enquêtes visuelles du New York Times a révélé quelle était l’unité de l’armée russe responsable du massacre de civils ukrainiens a Bucha, avec des techniques similaires.

 

Le procédé d’OSINT étant décentralisé, il offre une opportunité potentiellement unique pour les marginalisés et opprimés de contester le narratif de gouvernements et médias mainstream, dans leur recherche de la vérité et de la justice. Si, cependant, le partage permis par OSINT donne aux journalistes des aperçus sans pareil de ce qu’il se passe sur le terrain et fournit les militants en outils nouveaux pour faire reconnaître les responsabilités et organiser des mobilisations, des régimes autoritaires sont prompts à prendre le contrôle des nouvelles technologies pour leur propres objectifs répressifs. La Palestine colonisée en est un bon exemple.

 

OSINT en Palestine 

 

Un outil de libération

Le 11 mai 2022, les forces armées israéliennes ont tiré sur la célèbre journaliste Shireen Abu Akleh et l’ont tuée alors qu’elle était en reportage sur leur attaque dans la ville occupée de Jénine. Les nouvelles de l’assassinat d’Abu Akleh, avec le film du moment où les forces israéliennes ont ouvert le feu, se sont rapidement répandues sur les réseaux sociaux, provoquant choc et colère dans une région où le nom Abu Akleh était familier. Des témoins – dont des journalistes qui étaient aux côtés d’Abu Akleh quand elle a été tuée – ont rapporté que des soldats israéliens les avaient visés  alors qu’ils portaient des gilets affichant clairement « « PRESSE ». Les autorités israéliennes ont immédiatement rejeté leur responsabilité, le premier ministre Naftali Benett tentant de mettre en cause des ““Palestiniens armés”.

Sous l’occupation numérique d’Israël, les Palestiniens ne peuvent tout simplement pas participer à une révolution OSINT entièrement dépendante d’un accès fiable et rapide à internet et au flux de l’information

 

Comme des récits de témoins émergeaient et que des images des tirs circulaient sur les réseaux sociaux, les analystes d’OSINT un peu partout dans le monde ont passé au peigne fin un déluge de preuves dans le but de demander des comptes aux tueurs d’Abu Akleh. En géolocalisant les positions exactes des soldats israéliens pendant l’attaque à partir d’images obtenues de ceux qui étaient sur place, les enquêteurs de Bellingcat ont déterminé que la balle ayant tué Abu AKleh avait été tirée par un soldat israélien. Le New York Times – qui a aussi mobilisé de l’analyse spatiale, des récits de témoins et des photos pour exclure la possibilité d’incriminer des combattants de la résistance palestinienne – a abouti à la même conclusion. Un rapport commun de Al Haq et Forensic Architecture (Architecture médico-légale) a ensuite validé ces récits en puisant dans le domaine public, confirmant la culpabilité israélienne —une conclusion qui a, depuis, été corroborée par l’ONU, Al Jazeera et même l’armée israélienne , bien qu’avec réticence.

 

Avant la reprise d’OSINT, une large reconnaissance de la vérité concernant le meurtre d’Abu Akleh aurait reposé sur le résultat d’une enquête israélienne faite par sa propre armée. Aujourd’hui, OSINT apporte aux Palestiniens un outil inestimable : l’enquête menée conjointement par des équipes d’OSINT dans le monde sur le meurtre d’Abu Akleh a été un véritable exploit si l’on considère les violations continuelles des droits numériques des Palestiniens  par Israël et sa répression contre les groupes de défense des droits humains.

 

Pour autant, certains problèmes continuent manifestement à faire peser des risques sur le pouvoir libérateur d’OSINT. Tout d’abord, l’enquête sur le meurtre d’Abu Akleh a montré que les Palestiniens continuent à dépendre largement de la bonne volonté des analystes d’OSINT à l’étranger qui jouissent d’un accès sans restriction aux infrastructures en ligne ont ils dépendent — infrastructure souvent refusée  aux Palestiniens. Ensuite, les analystes israéliens d’OSINT tentent de supprimer les efforts engagés pour mettre en évidence la vérité en se faisant les livreurs de hasbara—la propagande pilotée par l’État israélien dans le but de cacher les crimes israéliens et de tordre la réalité de son occupation militaire et de sa politique d’apartheid.

 

Un moyen d’oppression

Au cours des dernières années, des comptes anonymes d’OSINT tels Aurora IntelIsrael Radar, et ELINT News ont créé un public partisan, avec leur couverture de l’évolution de la sécurité en Palestine colonisée et plus largement au Moyen Orient. Parmi leurs fidèles se trouvent des journalistes, des analystes de Washington et des acteurs politiques qui citent régulièrement et repartagent leurs posts avec leurs publics respectifs. Nombre de ces récits tirent cependant une bonne part de leur information de l’armée israélienne, sans esprit critique, surestimant des actes de résistance armée menés par des Palestiniens et sous-estimant la violence structurelle israélienne généralisée. Résultat : au lieu des sources objectives d’information que ces récits prétendent être, ils finissent par propager la hasbara israélienne, déformant le narratif public et couvrant les crimes de guerre du régime.

 

L’un de ces comptes OSINT les plus connus est Aurora Intel. Fondé en octobre 2018, Aurora Intel prétend se consacrer à « fournir des nouvelles actualisées et des renseignements aux masses ». Depuis, trois contributeurs anonymes, « David », « Adam » et « Knish », ont fourni presque H24 et 7j/7 une couverture de la Palestine colonisée et de la région depuis le Royaume Uni, le Canada et Israël. Lorsque le régime israélien a lancé son assaut sur Gaza  à l’été 2022 – tuant au moins 49 Palestiniens, dont 17 enfants, Aurora Intel s’est joint au torrent de récits d’OSINT, pondant des mises à jour sur l’évolution des opérations presque en temps réel.

 

Emanuel Fabian, un ancien analyste d’OSINT devenu journaliste au Times of Israel, est l’une des sources les plus fréquemment citées par Aurora Intel. Le 6 août 2022, Aurora Intel et Fabian ont simultanément rapporté  qu’une frappe aérienne sur le camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza avait tué quatre enfants. Quand les nouvelles de la frappe se sont répandues et que l’indignation publique s’est intensifiée, les forces d’occupation israéliennes ont immédiatement tenté de décliner leur responsabilité. Sans questionner ni vérifier le récit israélien, Aurora Intel et Fabian ont partagé des images et des infographies produites par l’armée israélienne qui montraient à dessein des tirs de roquettes non aboutis du mouvement du Jihad Islamique palestinien, comme preuve qu’Israël n’était pas responsable des pertes civiles.

 

Plusieurs jours après, les forces d’occupation israéliennes ont reconnu leur responsabilité  dans une frappe aérienne distincte ayant frappé Jabaliya, qui a tué cinq enfants palestiniens. Pourtant, ni Fabian ni Aurora Intel ne firent un rapport sur cette attaque, bien qu’ils aient préalablement partagé des renseignements non confirmés de l’armée israélienne qui accusait le Jihad Islamique des pertes civiles. Interrogé sur la raison pour laquelle la possibilité d’un crime de guerre reconnue par les représentants officiels de l’armée israélienne n’a pas justifié une mention, Fabian a tergiversé , en insistant sur le fait qu’il ne pouvait pas partager la nouvelle parce que cet événement était « encore en cours d’investigation ».

 

Les reportages inexacts, biaisés que nous voyons et qui émanent de comptes tel Aurora Intel et d’analystes tel Fabian ne sont pas une aberration. En fait, ils signalent l’existence d’un réseau organisé, plus large, d’analystes d’OSINT Pro-Israël qui agissent comme des vecteurs non critiques de la hasbara israélienne. En amplifiant certaines histoires tout en en ignorant d’autres, en régurgitant des sujets de discussion de l’armée israélienne, et en négligeant purement et simplement les évolutions qui renvoient une mauvaise image du régime israélien, ces analystes blanchissent les crimes de guerre israéliens  en réalité.

 

De plus, de nombreux comptes OSINT sont anonymes, ce qui rend impossible pour ceux qui les suivent, de vérifier en toute indépendance leur expertise technique ou d’identifier leurs biais sous-jacents. Aussi n’est-il pas surprenant que ces sources d’information se donnant pour impartiales ne contribuent pas à une compréhension plus exhaustive des racines de la violence dans la Palestine colonisée – les systèmes entrelacés du régime israélien de colonisation de peuplement, d’apartheid et d’occupation.

 

Palestiniens sous occupation numérique

 

En théorie, les analystes palestiniens de l’OSINT devraient être capables de contrer les campagnes israéliennes de désinformation en présentant la vérité à un public mondial. En effet, l’un des aspects les plus attrayants de l’OSINT, c’est qu’elle permet à presque tout le monde un accès à internet, une connaissance de la situation et un apprentissage des techniques de recherche en libre accès pour participer aux processus de vérification de l’information collective. Mais sous l’occupation brutale du régime militaire israélien, même la vie sur internet se caractérise pour les Palestiniens par une surveillance étouffante et des barrières obstructives à l’accès. En fait, le régime israélien a pris un contrôle total sur les infrastructures technologiques de l’information et des communications palestiniennes dès 1967. Depuis lors, il contrôle la vie numérique en Palestine, empêchant l’accès aux technologies de réseau, refusant les demandes d’importation de nouveaux équipements de télécommunication, et surveillant étroitement l’activité en ligne.

 

En plus de restreindre l’accès, le régime israélien détruit l’infrastructure essentielle nécessaire aux ressources énergétiques basiques, dont l’électricité. En 2014, il a bombardé  la seule centrale électrique en fonctionnement de Gaza, plongeant ses deux millions de résidents dans une crise énergétique  qui persiste à ce jour.

 

 

Bien que la centrale électrique ait depuis été partiellement remise en état, elle est incapable de fournir de l’énergie en quantité suffisante à l’enclave assiégée. Sous le blocus suffocant et les tactiques de punition collective par Israël, les Palestiniens de Gaza doivent se débrouiller face aux coupures de courant quotidiennes qui font qu’il est souvent impossible de garder les réfrigérateurs en marche , sans parler de l’accès à internet sur des périodes prolongées.

 

Lorsque les Palestiniens sont enfin en ligne, les connexions internet sont d’une lenteur insupportable. En effet, les réseaux palestiniens de télécommunication de Cisjordanie se sont battus pour conserver la 3G depuis 2018, tandis que Gaza dépend encore d’un réseau 2G encore moins fiable. En juillet 2022, le président américain Joe Biden a annoncé que la Maison Blanche travaillerait avec Israël pour fournir les services de la 4G  à la Cisjordanie et à Gaza en 2023. Cependant, en près d’un an depuis cette annonce, aucun progrès  n’a été réalisé. De faibles vitesses de téléchargement et des connexions internet irrégulières obligent de nombreux Palestiniens à acheter des cartes SIM israéliennes pour avoir accès à des réseaux plus rapides. Même si cela améliore l’accès à internet pour ceux qui en ont les moyens, cela ne fait qu’exposer les Palestiniens à une surveillance accrue par le régime israélien. En fin de compte, sous occupation numérique israélienne, les Palestiniens ne peuvent simplement pas participer à la révolution OSINT qui dépend entièrement de la fiabilité et de la rapidité de l’accès à internet et de la libre circulation des informations.

 

Malgré les nombreux obstacles érigés par Israël, OSINT a déjà servi la cause palestinienne et ne jouera qu’un rôle de plus en plus important dans les efforts collectifs pour tenir Israël pour responsable.

 

Qui plus est, les forces d’occupation israéliennes ciblent régulièrement les Palestiniens pour enregistrer et partager des informations qui pourraient les impliquer dans des crimes de guerre ou des violations des droits de l’homme. En novembre 2022, elles ont abattu par balles  Mufid Khlayel alors qu’il filmait des soldats israéliens en train de tirer à balles réelles sur de jeunes Palestiniens à Beit Ummar au sud de la Cisjordanie. Plus tard ce mois-là, elles ont arrêté le militant palestinien Issa Amro après qu’il a publié un enregistrement montrant un soldat israélien jetant un militant israélien au sol et le bombardant de coups au visage à al-Khalil (Hébron). Et en mai 2021, Hazem Nasser, photojournaliste pour le réseau de télévision palestinien Falastin Al-Ghad, a subi un interrogatoire et a été menacé  par des soldats israéliens parce qu’il filmait des attaques de colons et la brutalité de la police à Jérusalem.

 

Depuis 2020, Israël a emprisonné au moins 26  journalistes palestiniens à travers la Cisjordanie, accusant beaucoup d’entre eux d’« incitation » pour avoir simplement documenté les événements qu’ils constataient. L’année dernière, le nombre total de prisonniers politiques palestiniens est monté à 4.760. Nombre d’entre eux disent avoir été détenus et interrogés pour des messages sur Facebook tels qu’un partage de photos de Palestiniens tués par les forces israéliennes.

 

Tandis que l’occupation numérique israélienne n’a pas réussi à décourager les initiatives d’OSINT en cours menées par les Palestiniens, elle a gravement entravé leurs capacités. Par exemple, pendant l’été 2021, l’organisation palestinienne des droits de l’homme Al Haq a annoncé la création d’une Unité d’Enquête de l’Architecture Médico-légale s’appuyant sur les techniques de l’OSINT pour surveiller les violations israéliennes des droits de l’homme. Son équipe a fourni plus tard le rapport révolutionnaire  précédemment mentionné sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh, qui utilisait une analyse spéciale pour recréer efficacement le moment où les journalistes se sont retrouvés sous le feu des forces israéliennes.

 

En août 2022, les forces d’occupation israéliennes ont envahi Ramallah sous le couvert de la nuit et ont fait une descente dans les bureaux d’Al Haq , ainsi que dans cinq autres organisations des droits de l’homme que l’ancien ministre israélien de la Défense Benny Gantz avait désignées comme « organisations terroristes ». Les États membres de l’UE, les experts de l’ONU et des dizaines d’organisations des droits de l’homme ont rejeté la preuve supposée  qu’Israël avait donnée comme justification des désignations et des raids ; pourtant, les forces d’occupation israéliennes ont redoublé leurs menaces envers les organisations des droits de l’homme et leur personnel sur l’ensemble de la Cisjordanie. Sans surprise, plus ces organisations deviennent efficaces pour démasquer les crimes d’Israël, plus elles deviennent une cible de la vengeance israélienne.

 

Le régime israélien n’est pas le seul à censurer les Palestiniens en ligne. En septembre 2022, une enquête d’Intercept a découvert que Facebook et Instagram  avaient bloqué ou réduit des messages et des comptes qui partageaient des images des frappes aériennes du régime israélien en mai 2021 sur Gaza et des attaques sur les Palestiniens en Cisjordanie. Des compagnies de réseaux sociaux ont essayé d’imputer la censure massive à des problèmes dans les logiciels d’intelligence artificielle ; cependant, les militants ont fait remarquer  que Facebook modérait régulièrement les contenus à la demande de gouvernements.

 

En fait, Israël possède sa propre agence gouvernementale dédiée à la soumission de demandes de censure. Son unité cybernétique, qui fonctionne hors du bureau du Procureur Général de l’État, signale des messages sur les réseaux sociaux et demande leur retrait. D’après ses propres données, 90% de ces requêtes  sont accordées sur toutes les plateformes des réseaux sociaux. Des responsables israéliens de haut rang, dont l’ancien ministre de la Défense Gantz, sont allés jusqu’à exhorter personnellement les dirigeants de Meta et de TikTok à modérer et à censurer le contenu de réseaux sociaux critiques d’Israël.

 

La campagne coordonnée du régime israélien contre les compagnies de réseaux sociaux est difficile à affronter, et c’est exacerbé par la complicité des dirigeants palestiniens  dans les violations numériques. Résultat, les Palestiniens ne peuvent pas exercer de pression juridique ou diplomatique sur les compagnies de réseaux sociaux, ni de souveraineté sur leur infrastructure numérique . Par ailleurs, le secteur technologique hautement développé du régime israélien lui a donné un pouvoir d’attraction important et une relation sans pareille avec les principaux géants des médias sociaux. Ceci signifie que les Palestiniens doivent une fois de plus compter sur la communauté internationale pour tenir Israël pour responsable de censure et de violations de la vie privée.

 

 

Que faut-il faire ?

 

L’essor de l’OSINT place les Palestiniens devant un dilemme unique. D’une part, elle fournit des outils relativement accessibles et bon marché pour alimenter la preuve de crimes de guerre et de violations des droits de l’homme par le régime israélien, qui autrement ne seraient pas rapportés. D’autre part, les Palestiniens sont victimes de cette même technologie dont ils espéraient qu’elle les aiderait. En occultant activement les crimes de guerre israéliens et en alimentant les récits qui déforment la réalité de l’occupation israélienne, les analystes israéliens et leurs soutiens ont coopté OSINT, la transformant d’un outil d’objectivité en un outil de déformation. Et en plus, l’occupation numérique et la constante surveillance par Israël empêche les Palestiniens de dissiper la désinformation israélienne.

 

L’OSINT seule ne mettra pas fin aux crimes de guerre et aux violations des droits de l’homme israéliens, ni ne garantira leur prise en compte. Pourtant, en révélant au monde les crimes d’Israël, on peut utiliser l’OSINT en tant qu’outil de libération dans une quête de transparence, de dissuasion et de justice. Malgré les nombreux obstacles érigés par Israël, l’OSINT a déjà servi la cause palestinienne et ne jouera qu’un rôle de plus en plus important dans les efforts collectifs pour tenir Israël pour responsable. Cependant, sans des efforts concertés de la communauté internationale, des sociétés de technologie, et des militants pour assurer un accès égal à internet, combattre la désinformation, et remettre en cause la surveillance autoritaire, l’OSINT risque d’être encore davantage utilisée comme un outil d’oppression.

 

Fondamentalement, les Palestiniens devraient pouvoir accéder de façon fiable à internet où qu’ils soient. Il n’existe actuellement aucun traité ou loi internationale qui affirme explicitement l’accès à internet en tant que droit de l’homme. Toutefois, les États-Unis et plusieurs pays d’Europe ont des lois nationales qui le disent. Les militants et organisations des droits de l’homme, la direction palestinienne, et les États membres de l’ONU doivent soutenir la création et la ratification officielles de lois internationalement reconnues – comme la Résolution de l’ONU de 2021 sur l’Internet – qui consacre l’accès à internet en tant que droit de l’homme. Ils devraient s’appuyer sur ces lois pour exiger du régime israélien qu’il renonce à son contrôle sur l’infrastructure palestinienne de l’internet.

 

Par ailleurs, Israël doit être tenu pour responsable du ciblage de reporters, de journalistes citoyens et d’associations des droits de l’homme. Les militants des États-Unis devraient contacter leurs députés pour exiger le vote du HR 9291 qui demande une enquête et un rapport sur l’assassinat par Israël de Shireen Abu Akleh. Les électeurs d’Europe devraient aussi appeler leurs députés à exiger qu’Israël cesse de cibler les organisations palestiniennes des droits de l’homme avec de fausses accusations de « terrorisme ». En l’absence d’action à cet égard au niveau de l’État, les défenseurs devraient coordonner leurs efforts avec des organisations comme le Comité de Protection des Journalistes  en demandant la responsabilisation et en préparant les journalistes palestiniens avec des outils de protection et un entrainement.

 

Enfin, des démarches peuvent être faites immédiatement pour donner aux Palestiniens les moyens d’agir face au durcissement par Israël de son occupation numérique. On devrait fournir aux analystes d’OSINT et aux journalistes citoyens palestiniens l’accès et le financement de leur formation et des cours de sécurité numérique qui leur permettront d’exploiter plus efficacement les méthodes de collecte d’OSINT en direction des droits de l’homme, tout en maintenant leur sûreté et leur sécurité. Des organisations comme Bellingcat et  le Conseil Atlantique offrent des cours gratuits ou à bas prix qui se sont avérés être extrêmement précieux en tant que ressources fondamentales.

 

Les défenseurs devraient soutenir les initiatives de l’OSINT conduites par les Palestiniens telles que le laboratoire  d’Al Haq et d’Architecture médico-légale

avec des financements et des ressources supplémentaires. Des applications émergentes comme Sourceable (source possible) visent à doter les journalistes citoyens d’outils pour vérifier immédiatement enregistrements, photographies, et autres preuves en libre accès afin de les transmettre directement aux médias et aux organisations des droits de l’homme à travers le monde. Déployer ces outils en Palestine améliorerait la circulation des informations, réduirait l’impact négatif de la désinformation, et protégerait les journalistes citoyens palestiniens contre les représailles des forces du régime israélien.

 

 

Tariq Kenney-Shawa est Chercheur Politique américain à Al Shabaka. Il est titulaire d’une maîtrise en Affaires Internationales de l’Université de Columbia et d’une licence de Sciences Politiques et d’Études du Moyen Orient de l’Université Rutgers. Les recherches de Tariq ont porté sur une série de sujets, depuis le rôle du récit à la fois dans la perpétuation et dans la résistance à l’occupation jusqu’à l’analyse des stratégies de libération des Palestiniens. Son travail est apparu entre autres dans +972 Magazine, Newlines Magazine, le Carnegie Council, et le New Politics Journal. Suivez Tariq sur Twitter @tkshawa et allez voir son site à https:/www.tkshawa.com pour en découvrir plus sur ses écrits et sa photographie.

 

 

Traduction : SF et J.Ch pour BDS France Montpellier

 

 

 

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