Gaza en 2020 : D’une région « invivable » à un havre de paix

Ziad Medoukh

 

En 2018, les organisations internationales, notamment celles de l’ONU, ont lancé une alerte sur la situation humanitaire dans la bande de Gaza. Elles ont affirmé, dans leurs rapports publiés, que cette région pauvre et isolée, en souffrance permanente, ne serait pas vivable en 2020, pour plusieurs raisons : blocus renforcé, eau contaminée, trop forte densité de population, manque de ressources naturelles, économie effondrée, système sanitaire défaillant, population éprouvée par plusieurs offensives militaires israéliennes.

«Gaza pourrait devenir « invivable » d’ici 2020», tel était le titre de ces rapports, en particulier celui de l’organe de l’ONU chargé des questions de développement et de commerce (CNUCED) qui s’est alarmé que Gaza, ce territoire exigu de 365 km2, long de 41 km et large de 6 à 12 km, où s’entassent deux millions de Palestiniens, pourrait devenir inhabitable en 2020.

Suite à ces rapports, quelques palestiniens de Gaza, en particulier des jeunes qui souffrent du chômage, de l’absence de perspectives et qui rêvent d’une vie meilleure ailleurs, ont commencé à quitter leur région pour s’installer à l’étranger. Selon une estimation de la direction du passage de Rafah (le seul point de passage possible qui relie les habitants de la bande de Gaza à l’extérieur), quelques 39.000 palestiniens de Gaza, en majorité des jeunes moins de 30 ans, ont quitté l’enclave entre mai 2018 et septembre 2019, en payant très cher pour sortir, vu les conditions très difficile pour quitter cette enclave devenue prison.

Et même si plus de 27.000 d’entre eux sont revenus à Gazas fin 2019 et début 2020 – n’ayant pas trouvé à l’étranger ce qu’ils espéraient et jugeant que, malgré toutes les difficultés, Gaza reste un endroit  où ils peuvent  vivre dignement – quitter Gaza était devenu ces deux dernières années un phénomène inquiétant, vu l’attachement des Palestiniens à leur terre en dépit des agressions israéliennes et des mesures atroces de l’occupation.

Le problème est que les organisations internationales n’ont pas fait pression sur les autorités israéliennes pour exiger la levée du blocus, accélérer les efforts de reconstruction (qui restent très lents face à l’ampleur des dévastations) et pour améliorer les conditions de vie de ces deux millions de Palestiniens qui y vivent. Oui, la population est laissée à son sort par l’occupation et par une communauté internationale officielle silencieuse et donc complice.

Dans mon dernier livre «Être non-violent à Gaza», sorti en France en novembre 2019, j’avais écrit un article intitulé «Gaza, une ville enfermée mais une ville qui impressionne » pour montrer la capacité extraordinaire de cette population civile à supporter l’insupportable dz cette région isolée et délaissée. Je disais que Gaza est une ville contradictoire, où personne ne dort dans la rue ni ne meurt de faim, même si la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et je confirmais que Gaza restera toujours vivante et débout, qu’elle n’abandonnera jamais son élan de vie et d’espoir ; que les Palestiniens de Gaza essaient simplement de mener une vie aussi normale que possible dans des conditions extrêmement anormales.

Au début de l’année2020, avec l’apparition du coronavirus et la propagation de cette épidémie partout dans le monde, causant un nombre considérable de morts et de personnes atteintes, surtout dans les pays développés, tout le monde attendait à une catastrophe épidémiologique dans la bande de Gaza. Or, jusqu’à présent, et après quatre mois, on déplore seulement un décès et 67 individus infectés. C’étaient tous des Palestiniens qui rentraient de l’extérieur. Il n’ y avait aucun cas de contamination de l’intérieur, contre plus de 8 millions de cas et presque  450.000 morts au total dans le monde . Et tout cela malgré un système de santé absolument défaillant et le manque cruel de moyens économiques et médicaux dans une région qui souffre d’un blocus total depuis plus de 14 ans.

Oui, la bande de Gaza, cette région qui ne possède qu’un seul hôpital équipé, quelques centres médicaux, 55 lits en soins intensifs et 50 appareils de réanimation, Gaza a été épargnée par ce virus mortel, et sa population civile a démontré une fois de plus sa capacité à s’adapter à une situation humanitaire et sanitaire extrême. Une population confiante et consciente dans sa réaction et dans son attitude face à cette épidémie malgré un double confinement provoqué par la maladie et le blocus.

Depuis la découverte des premiers cas en mars dernier, on constate  qu’il n’y a pas eu de panique, pas de pénurie de masques ni de produits nécessaires sur les marchés de Gaza, pas d’afflux de citoyens dans les grandes surfaces et les supermarchés. Les Palestiniens de Gaza ont appliqué à la lettre les consignes préventives malgré l’absence de cas infectés de l’intérieur.

Un des aspects très marquants de la situation ici est le renforcement de la solidarité  familiale et sociale, malgré les conséquences dramatiques du double confinement. Beaucoup de commerçants, de magasins et de boulangeries baissent les prix de leurs produits en solidarité avec les plus démunis. Des supermarchés proposent l’acheminement des achats gratuitement chez les habitants confinés chez eux. On voit aussi la distribution de masques, de savon et de produits de désinfection ainsi que de colis alimentaires et sanitaires et de repas aux familles pauvres confinées directement chez elles grâce aux dons de personnes aisées de Gaza.

 

Il y a plein d’exemples concrets de ces initiatives et actions de solidarité exemplaires dans la bande de Gaza face à l’épidémie. Comme l’usine de fabrication des masques médicaux par les personnes ayant un handicap à Gaza pour les familles démunies ; le projet des femmes de Rafah au sud, de préparer des repas et des gâteaux pour les familles dans le besoin avec le soutien des hommes d’affaire de cette région. Ou encore l’initiative d’un groupe de professeurs de distribuer 100 colis alimentaire par jour partout dans la bande de Gaza. Sans oublier les jeunes de Gaza très mobilisés pour l’acheminement des colis chez les familles et leurs différentes campagnes spontanées et bénévoles de sensibilisation dans les rues de Gaza.

L’Autorité palestinienne de Ramallah a envoyé des médicaments à Gaza et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a fait don de 10.000 kits de dépistage  pour aider à faire face à la pandémie.

Sans oublier quelques initiatives de pays et d’organisations internationales qui ont soutenu la population de Gaza dans cette période particulière par l’envoi d’équipements médicaux et des aides alimentaires et sanitaires lesquels ont contribué à apaiser la souffrance d’une population qui affronte de nouveau une crise économique et sociale dévastatrice.

Les mesures préventives prises dans cette région depuis plus de 4 mois, le confinement, la fermeture de beaucoup de lieux publics et d’établissements, et l’arrêt de la production de certaines activités, ont aggravé la situation économique déjà fragile, une économie à la croissance limitée et aux faibles ressources.

Tous les secteurs économiques et commerciaux de l’enclave palestinienne  ont connu un déclin important : leur capacité de production a diminué de 60 à 70 % ces derniers mois.

Selon la Chambre de commerce et d’industrie de Gaza, jusqu’à fin mai 2020, les pertes économiques directes liées à l’épidémie dépassent les 50 millions d’euros.

L’Union Générale des Travailleurs Palestiniens a confirmé que plus de 45.000 travailleurs et ouvriers de Gaza ont perdu leurs postes, dont environ 6.000 employés dans les écoles privées, les jardins d’enfants et les centres éducatifs (  il y a environ 700 jardins d’enfants, 52 écoles privées, et 345 centres éducatifs dans la bande de Gaza), 5.600 travailleurs dans le secteurs du tourisme et de la restauration, plus de 11.700 ouvriers et travailleurs journaliers dans des ateliers et champs ,6000 conducteurs et transporteurs et 14.200 travailleurs dans le secteur privé, et presque 1.500 travailleurs sur les marchés populaires et les commerces.

Le problème est que 90 % des travailleurs sont dépendants du revenu quotidien, et leur contribution au PIB a diminué de 37%, ce qui augmente le chômage et la pauvreté dans la bande de Gaza. 

Dans son bulletin de juin 2020, le Bureau palestinien des statistiques indique que le taux de chômage est passé à plus de 73 %  et la pauvreté à 54 %.et que plus de 77% de la population de Gaza dépend de l’aide internationale.

C’est vrai, les mesures de précaution prises dans la bande de Gaza ont permis de maîtriser le risque d’épidémie du nouveau coronavirus mais elles ont aussi accru les souffrances des travailleurs et alourdi leurs charges financières.

Même le plan de revitalisation économique des petites, moyennes et micro-entreprises initié par l’Autorité palestinienne n’a pas été efficace pour le moment à cause du blocus et de la division inter-palestinienne.

Depuis le mois d’avril, l’Autorité  palestinienne de Ramallah et le gouvernement de Gaza versent 200 euros par mois aux travailleurs ayant perdu leur travail, mais cela reste insuffisant pour faire face à leurs besoins énormes. Et le problème ne réside pas seulement dans l’ampleur des pertes mais aussi dans la durée nécessaire pour relancer l’économie.

Côté politique, la population de Gaza suit avec inquiétude les évènements nationaux, elle organise des manifestations et des rassemblements contre le plan israélien d’annexer la vallée du Jourdain et une partie de la Cisjordanie, elle espère arriver à une vraie réconciliation pour faire face à cette épidémie certes, mais à ces plans israéliens et américains qui visent tout le peuple palestinien.

Les autorités sanitaires de Gaza ont bien géré la crise, malgré le manque de moyens, le blocus et la division inter-palestinienne. Elles ont créé des centres de quarantaine pour héberger les 5.200 palestiniens rentrés d’Egypte pendant l’ouverture du passage de Rafah (trois fois en mars, avril et mai).  Ces personnes ont été mises à l’isolement dans ces centres pendant 21 jours, sans aucun contact avec le reste de la bande de Gaza.

Cette stratégie, basée sur le renforcement des mesures de précaution et de prévention, le confinement, et la création de centres de quarantaine, a réussi jusqu’à présent à empêcher la propagation  du Covid-19, et a évité  un possible  désastre épidémiologique dans cette région sous blocus, très peuplée et très pauvre.

La bande de Gaza, n’a pas connu de pénurie de masques, car deux usines ont commencé à en fabriquer dès la fin du mois de mars dernier pour le marché local et même pour l’ exportation  à l’étranger.

Il n’y a pas eu de panique ni de manque de produits alimentaires : de nouvelles grandes surfaces ouvrent leurs portes partout dans la bande de Gaza.

Le quotidien de la population civile (médecins, jeunes, autorités sanitaires, familles entières) pendant l’épidémie a été et est d’une volonté sans faille, mais les médias étrangers ne parlent jamais de cela.

Fin mai, on est passé à un déconfinement progressif, avec la réouverture des lieux de cultes, des salles de mariage et des plages .

Dans les Territoires palestiniens, y compris dans la bande de Gaza, les examens du baccalauréat ont été passés début juin, dans le respect des consignes sanitaires, alors que les épreuves ont été annulées dans plusieurs pays. L’année universitaire s’est achevée en juin, à distance et avec succès.

Hommage soit rendu à ces médecins, infirmiers et personnels de santé qui gèrent une situation dans des conditions extrêmement difficiles !

Nous sommes dans la deuxième moitié de l’an 2020 et Gaza est toujours débout, elle continue à s’accrocher  à la vie même dans cette nouvelle épreuve sanitaire et humanitaire.

Malgré un double confinement pour la population, en ce début d’été les Palestiniens continuent d’aller à la plage, alors que dans beaucoup de pays les plages sont fermées.

Les jeunes qui voulaient quitter Gaza disent maintenant que la bande de Gaza est devenue le lieu le plus sûr au monde ! Les Palestiniens qui avaient habitude de communiquer avec les étrangers sont entrain de communiquer entre eux, notamment les étudiants et les enseignants.

Parmi les Palestiniens originaires de Gaza qui vivent et étudient à l’étranger beaucoup sont actuellement bloqués, non pas à Gaza, mais à l’étranger ! Ils  rêvent de revenir à Gaza «la région la plus sûre au monde», selon le ministère palestinien des affaires étrangères. Plus de 10.000 palestiniens originaires de Gaza, étudiants et résidents, veulent revenir à Gaza, car dans cette situation mondiale particulière, avec le confinement et les mesures préventives, Gaza est devenue pour eux un havre de paix par rapport à d’autres pays.

Comment en est-on arrivé là ?

Est-ce une volonté en fer d’une population déterminée?

Est-ce un phénoménal paradoxal ?

Est-ce Gaza est une ville contradictoire ?

Est-ce la faillite des rapports d’experts ?  Les experts n’ont-ils rien compris à la volonté de ce peuple courageux ?

Est-ce la capacité de la société civile de prendre en main son destin ?

Est- ce une maîtrise de la situation et une bonne gestion de la crise ?

Est-ce l’expérience de 14 années de blocus ?

Est-ce une façon à compter sur ses propres forces ?

Est-ce c’est une preuve de la vitalité du peuple palestinien pleine de ressources ?

Est-ce une capacité d’adaptation et d’inventivité ?

Est-ce la solidité d’une population rendue plus forte après les différentes épreuves : blocus, pénuries, offensives militaires, agressions israéliennes vécus au quotidien ?

Est-ce l’amour de la vie et l’attachement à leur terre ?

C’est vrai, il y a eu une stratégie, des efforts, un soutien international,  mais c’est bien la population civile très déterminée, avec des liens sociaux très forts, qui a montré de nouveau sa patience et sa capacité d’adaptation, malgré une souffrance permanente. Une population qui tient bon et qui vit au jour le jour dans l’attente et l’espérance.

C’est vrai, Gaza a été épargnée jusqu’à présent par le virus mortel. Mais des virus plus dangereux pour la Palestine sont toujours là : ils s’appellent occupation, colonisation, l’annexion, blocus et l’apartheid .

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