La peine de mort illégale et sans procès est soutenue par les acclamations des masses israéliennes

Print Friendly, PDF & Email

Les habitants d‘Israël regardent ces images et la plupart sont enchantés de voir les médias attiser leurs pulsions animales.

Une vague d’exécutions extralégales déferle sur le pays. C’est écœurant, barbare et illégal – et la chose est applaudie par les masses, attisée par les médias et encouragée par les autorités.

Isra-abed

Israa Abed, 30 ans, mère de trois enfants, exécutée à Afula, près de Nazareth

Ajoutez en outre à cette vague de terreur la pire espèce de dégâts – la société israélienne en train de perdre son image. Cette société a connu des périodes de sauvagerie avant cela, mais aucune comme celle-ci, qui voit chaque agresseur à l’arme blanche ou chaque personne proférant des menaces à l’aide d’un couteau, d’un tournevis ou d’un épluche-légumes se faire exécuter, même après avoir jeté son arme, alors que son exécuteur se mue en héros de la nation.

Ceux qui voulaient la peine de mort pour les terroristes en reçoivent aujourd’hui une version plus infamante – une peine de mort sans procès. Quatorze Palestiniens ont été tués de cette façon la semaine dernière et la plupart n’auraient même pas risqué la peine de mort dans un État de droit. La soif de sang – et on ne se souvient pas de précédents du même genre dans ce pays – exige de plus en plus de sang.

Lors de certaines de ces agressions, les forces de sécurité et les civils ont agi de façon adéquate en neutralisant les assaillants. Parfois, il n’y a d’autre choix que de tirer et de tuer. Mais, dans d’autres cas, il s’est bel et bien agi d’une exécution et on ne peut décrire la chose autrement. Les clips vidéo le prouvent de façon irréfutable.

Il suffit de voir l’exécution horrible d’Asra’a Abed à Afula. Elle était là, un couteau toujours à la main (1), entourée de policiers armés et, plus près d’elle, l’un d’entre eux léchait un esquimau, jusqu’au moment où ils lui ont tiré plusieurs balles à très courte distance, au lieu de la maîtriser et de la désarmer. Cela a tout du meurtre. Ces policiers étaient trop lâches ou trop assoiffés de vengeance et, pour cette raison, ils méritent de passer en jugement et non de recevoir une citation.

Plus macabre encore, il y a l’exécution de Fadi Alon à Jérusalem. Après avoir jeté le couteau avec lequel il avait poignardé et blessé un jeune Juif (2), il avait essayé d’échapper à la foule en colère en se dirigeant vers les policiers, pendant que la foule, dans un langage ordurier, incitait ces mêmes policiers à l’abattre. Répondant à la requête de cette racaille, les policiers avaient abattu le jeune homme, sans raison, puis avaient traîné son cadavre sur la route.

L’élément grotesque a été fourni par l’agression de Tel-Aviv. Un Palestinien armé d’un tournevis, qui avait poignardé et très légèrement blessé plusieurs Israéliens, a été abattu et tué par un officier des FDI. Le sous-lieutenant Daniel devenait ainsi le héros du jour. Les médias lui ont consacré des pages entières, le saluant comme un “combattant d’une unité de défense aérienne qui a fait ce qu’on attendait d’un combattant”. Le corps de l’agresseur, que personne n’avait pris soin de recouvrir, et le tournevis a côté de lui, constituent la citation de Daniel. « Acte d’héroïsme à la porte de Kirya », clamaient les gros titres. Voilà tes héros, Israël, ils éliminent des jeunes désespérés brandissant un tournevis, alors qu’on pourrait et devrait les arrêter.

Les habitants d’Israël regardent ces images et la plupart sont enchantés de voir les médias attiser leurs pulsions animales. Voilà la véritable excitation. Adultes et enfants voient comment on abat les Arabes comme des chiens au bord de la route et ils apprennent la leçon. De la sorte, l’une des principales raisons de l’éruption de cette révolte est démontrée – la déshumanisation des Palestiniens, dont la vie et la mort n’ont absolument aucune valeur, aux yeux des Israéliens.

Personne ne rêve de tuer Yishai Shlisel (3) ou le meurtrier de l’adolescent Maor Almakayas à Kiryat Gat, mais tuer un Palestinien attire les applaudissements et les vivats de la foule déchaînée. Et nous n’avons encore rien dit des tirs sans raison contre les manifestants à la frontière de Gaza, tirs qui ont tué sept civils dont un enfant. Pas plus que nous n’avons parlé de la tentative de lynchage à Afula, ou de l’agresseur juif au couteau, à Dimona (4), que personne n’a pensé à exécuter et dont il ne serait venu à personne non plus l’idée de détruire la maison. L’homme sortait de toute un contexte d’« angoisse » et était donc pardonnable, comme si les agresseurs palestiniens ne venaient pas eux aussi d’un contexte d’« angoisse », mais dix fois plus profond.

L’un des avocats de cette barbarie, Dan Margalit, en a fourni la justification vendredi dernier. « Il est à conseiller absolument d’abattre tous les terroristes (…) Plus on en abattra, moins il y en aura », a-t-il dit. À cette moralité de béotien, qui ne passe même pas le test de la réalité, on pourrait ajouter : plus on abattra de violeurs, d’agresseurs, de chauffards, de pervers sexuels, de gauchistes et d’Arabes, moins nous en aurons. Mort aux Arabes – il est temps de se précipiter sur la prochaine cible.

________

Publié le 11 octobre 2015 sur Haaretz

Traduction : JM Flémal

Gideon Levy Gideon Levy est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du journal Haaretz.
Il a rejoint 
Haaretz en 1982 et a passé quatre ans comme vice-rédacteur en chef du journal. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996. Son nouveau livre, The Punishment of Gaza, vient d’être publié par Verso. Traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *