Retour au cycle de la vengeance (Amira Hass)

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Amira Haas

11 octobre 2023

En quelques jours, les Israéliens ont traversé ce dont les Palestiniens ont fait l’expérience de façon routinière pendant des décennies, et dont ils font encore l’expérience – incursions militaires, mort, cruauté, enfants assassinés, cadavres empilés sur la route, siège, peur, anxiété pour les êtres chers, captivité, être la cible de la vengeance, de tirs mortels aveugles sur ceux qui sont impliqués dans le combat (les soldats) et ceux qui ne le sont pas (les civils), être en position d’infériorité, destruction de bâtiments, vacances ou fêtes gâchées, faiblesse et désespoir face à des hommes armés tout-puissants, et humiliation brûlante.

Alors, il faut le dire une fois de plus – nous vous l’avions dit. L’oppression et l’injustice continues explosent à des moments et dans des lieux imprévus. Les effusions de sang ne connaissent pas de frontière.

Le monde s’est soudain retrouvé sens dessus dessous, et le cauchemar quotidien des Palestiniens a fait voler en éclats la façade de normalité qui a caractérisé la vie des Israéliens depuis des décennies. Le Hamas l’a fracassée au moyen de l’opération surprise qu’il a lancée, qui a démontré son ingéniosité militaire et sa capacité à faire des projets, à les garder secrets et à utiliser des tactiques de diversion.

Ses agents ont fait preuve de créativité en utilisant une diversité de méthodes pour transpercer les murs de la plus grande prison du monde, dans laquelle Israël a entassé deux millions d’êtres humains. Ses hommes armés se sont embarqués dans cette campagne en consentant au sacrifice de leur vie, sachant parfaitement bien qu’ils avaient une grande chance d’être tués. Certains d’entre eux ont assassiné des centaines de civils israéliens dans ce qui a ressemblé à des orgies de vengeance, que leurs commandants n’ont pas eu la sagesse ou n’ont pas jugé important de prévenir, ne serait-ce que pour des raisons tactiques.

Trois jours plus tard, l’énormité de ces actions de masse de rage palestinienne se déroule encore tandis que l’offensive aérienne d’Israël sur Gaza a déjà abouti à la mort de plus de 560 personnes, pour la plupart des civils, plus de 120.000 déplacés et des milliers de blessés.

Comme dans chaque guerre israélienne contre la Bande de Gaza, dans laquelle le Hamas trouvait son intérêt, surtout étant donné l’assassinat de civils, on devrait se poser la question : Cette organisation a-t-elle un plan d’action réaliste et un but politique réaliste, ou veut-elle avant tout réhabiliter sa propre position aux yeux des résidents de Gaza ? Son opération militaire était-elle cette fois assortie d’un projet logistique pour aider et secourir les civils Gazaouis attaqués ? Ou ceci va-t-il retomber encore une fois sur les agences d’aide internationale ?

Les joyeuses réactions palestiniennes aux performances actuelles du Hamas ne devraient surprendre personne. Après tout, l’ennemi tout-puissant a été dévoilé dans toute sa nudité – une armée impréparée occupée à protéger les colons priant dans la ville de Huwara en Cisjordanie et des Juifs qui s’emparent des sources palestiniennes. Des soldats confus et des policiers qui se sont habitués à penser que combattre veut dire tirer des enfants de leur sommeil avec des baïonnettes dégainées, ou envahir un camp de réfugiés dans une jeep armée. Les inventeurs de logiciels espions et les agents du Shin Bet manipulant leurs collaborateurs étaient si satisfaits de leurs résultats qu’il ont négligé le facteur humain – c’est-à-dire l’aspiration à la liberté partagée par tout être humain.

« La moitié des résidents de Sderot sont à Gaza, et la moitié des résidents de Gaza sont à Sderot », plaisantaient les Gazaouis pendant le Shabbat après qu’on ait eu clairement connaissance du nombre d’Israéliens tenus captifs. Ce sont les plaisanteries de détenus condamnés à perpétuité, de gens qui ne connaissent qu’à travers les histoires racontées par leurs grands-parents réfugiés les paysages de Jiyya, Burayr, Hamama, Najd, Dimra, Simsim et autres villages détruits autour de ce qui est aujourd’hui la Bande de Gaza et où se trouvent maintenant les kibboutz et les villes israéliennes. Mais que se passe-t-il après cette joie et cette impression de réussite ?

La conclusion israélienne automatique, comme lors d’occasions antérieures quand sa normalité a été un peu ébranlée, c’est que, si la mort et la destruction n’ont pas atteint leur but jusqu’ici, la réponse c’est davantage d’assassinats de Palestiniens par les airs et davantage de destructions et de vengeance. C’est la conclusion à la fois du gouvernement et de l’armée, mais aussi de nombreux Israéliens. Et c’est aussi apparemment la conclusion à laquelle sont arrivés les gouvernements occidentaux qui se sont empressés d’exprimer leur soutien à Israël tout en ignorant la violence et la cruauté structurelles d’Israël, et le contexte de la dépossession continue du peuple palestinien de sa terre.

Traduction J. Ch. pour l’AURDIP et Campagne BDS France Montpellier

Amira Hass est journaliste et auteure israélienne. Elle vit en Cisjordanie.

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