Retour vers le Futur : La Grande Marche du Retour

Print Friendly, PDF & Email

par Haidar Eid – le 24 juillet 2018

La Grande Marche du Retour – qui a commencé le 30 mars et n’est pas encore finie – a brouillé les cartes et a mis en évidence des question décisives concernant l’essence de la cause palestinienne ainsi que le statut de la Bande de Gaza. En dépit de la triste réalité de la vie à Gaza, que le siège israélien, avec la complicité internationale et locale, rendra bientôt inhabitable, une nouvelle prise de conscience est en train d’émerger.

Cette nouvelle prise de conscience amoindri la politique depuis longtemps dominante du pouvoir actuel de droite et « l’opposition » superficielle représentée par ce que j’appelle la gauche stalinienne – c’est-à-dire à la fois les Fronts Populaire et Démocratique pour la Libération de la Palestine, le Parti du Peuple Palestinien, l’Union Démocratique Palestinienne et, jusqu’à un certain point, l’Initiative Nationale Palestinienne. Ces partis ont jusqu’ici échoué à se dégager de leur subordination intellectuelle à l’Union Soviétique maintenant défunte et continuent de dépendre financièrement du pouvoir droitier de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). En d’autres termes, leur existence dépend de l’Autorité Palestinienne et ils sont incapables de forger des stratégies indépendantes et efficaces.

Étant donné l’échec de la classe politique dominante après 70 ans de déplacements et de dépossession depuis la Nakba, 11 ans de blocus, que les organisations internationales des droits de l’Homme ont décrits comme crime contre l’humanité, et trois guerres israéliennes qui ont tué plus de 4.000 hommes, femmes et enfants, les Palestiniens de Gaza ont décidé de se mobiliser pacifiquement pour renforcer les résolutions internationales, à commencer par la Résolution 194 de l’ONU, concernant le retour des réfugiés palestiniens chez eux et sur leurs terres.

En réalité, comme l’ont conclu la société civile et les militants politiques vivant à Gaza, le seul pouvoir fiable est celui du peuple, surtout après que la direction palestinienne ait tourné le dos à la Bande de Gaza et ait commencé à lui imposer des mesures punitives en avril 2017. La lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud a inspiré les militants palestiniens depuis la fin des années 1980 et la mobilisation populaire de la Première Intifada. Les militants palestiniens s’appuient par ailleurs sur l’histoire de la résistance populaire en Palestine, y compris la grève de 1936 et les récents soulèvements en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et en Israël.

Les militants ont conclu que le seul pouvoir fiable était celui du peuple.

La nouvelle prise de conscience qui émerge à Gaza et depuis Gaza rejoint toutes les formes de résistance populaire. En particulier, elle soutient l’appel à boycotter, se désinvestir et imposer des sanctions contre Israël (BDS), inspiré par le mouvement de libération en Afrique du Sud. En fait, la Marche du Retour a fait naître un consensus palestinien sans précédent et s’aligne sur les buts du mouvement BDS. Les militants BDS ont pris part à la marche depuis le tout début, menant des événements sensibilisateurs, en partenariat avec les organisateurs de la marche, dans lesquels ils ont montré la relation directe entre les principales formes de résistance populaire et le rôle de la société civile en prenant la tête de ces formes, étant donné les leçons du passé et les expériences telles que la résistance armée.

La campagne de la Marche du Retour menée à Gaza a la possibilité de promouvoir une véritable unité nationale après l’échec de toutes les tentatives de réconciliation entre le Fatah et le Hamas depuis 2006. Tous les partis politiques ont participé à la marche et ont des représentants au Haut Comité National aux côtés des représentants de la société civile. Le fait que et le Hamas et le Fatah aient des représentants dans ce comité démontre que seuls des militants politiques directement liés au peuple peuvent réussir ce que les chefs de partis ont échoué à accomplir, parce que le système politique palestinien actuel représente des intérêts de classe et de groupe qui ne survivent que grâce aux divisions internes, ainsi qu’à la coordination sécuritaire avec l’occupation israélienne. La marche a prouvé qu’un gouffre énorme sépare la direction palestinienne et la population palestinienne, surtout celle de Gaza.

Cette nouvelle prise de conscience créée par la Grande Marche du Retour se perçoit aussi dans la rupture complète avec le processus d’Oslo et sa vision d’un mini-Etat à côté d’un Etat juif qui pratique le racisme contre son propre peuple. Elle a le potentiel nécessaire pour raviver les concepts de libération nationale et d’autodétermination en traitant les réalités actuelles créées par Israël. Ces réalités ont rendu impossible l’établissement d’un Etat palestinien indépendant et souverain sur 22 % de la terre de la Palestine historique. Par conséquent, le moment est venu d’une lutte décisive pour la liberté, l’égalité et la justice. Après tout, les deux tiers des résidents de Gaza sont des réfugiés dont les droits et au retour et aux réparations sont garantis par le droit international.

Le mouvement BDS n’a pas adopté de position politique claire sur la question de l’indépendance ou de savoir s’il doit y avoir deux Etats ou un seul Etat démocratique. Pourtant, les buts de la Marche du Retour vont à l’encontre de la solution à deux Etats puisque celle-ci est essentiellement en contradiction avec la principale exigence des marcheurs qui est le retour des réfugiés et la réparation. La tenue de marches parallèles à Haïfa, Ramallah, Bethléem et Umm Al-Fahm met en lumière la nature pan-palestinienne de la Marche du Retour et son expansion de la Bande de Gaza assiégée au Territoire Palestinien Occupé (TPO) et à Israël. Et c’est exactement ce qui inquiète Israël.

Cette initiative populaire est une tentative de réorientation des efforts vers l’obtention des droits légitimes et l’interconnexion des trois segments du peuple palestinien – les citoyens palestiniens d’Israël et  les Palestiniens du Territoire Palestinien Occupé (TPO) et de la diaspora. Elle prouve aussi que Gaza fait partie intégrale de l’identité nationale palestinienne. Les Palestiniens de Gaza n’ont jamais été anti-patriotiques et ne peuvent être tenus pour responsables de la profonde fissure nationale. Ils ont joué un rôle vital dans la formation et la défense vigoureuse du nationalisme palestinien moderne, ce que la marche a précisément affirmé.

Les buts de la Marche du Retour vont à l’encontre de la solution à deux Etats.

Le pouvoir palestinien a maintenant présenté un renvoi à la Cour Pénale Internationale (CPI) déclarant que les responsables israéliens avaient commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité envers le peuple palestinien. Les dirigeants palestiniens doivent aller plus loin : Ils doivent renoncer aux contraintes d’Oslo, dont la coopération sécuritaire et la subordination économique et adopter sans équivoque l’appel du mouvement BDS. Ils ne devraient engager aucune négociation sans que l’application de la Résolution 194 couronne le calendrier. Ils doivent s’assurer que toute négociation se saisisse de l’exigence de mettre fin à la politique d’apartheid contre les citoyens palestiniens d’Israël.

Finalement, la lutte pour la liberté, le retour et l’autodétermination pour tous les segments du peuple palestinien est l’incarnation concrète de l’unité nationale inclusive sur le terrain. Cette unité n’est pas définie par deux factions politiques ou par le soi-disant « deux parties de la patrie » (c’est-à-dire la Cisjordanie et Gaza), mais plutôt par la nouvelle prise de conscience collective à laquelle ont contribué la Marche du Retour et le mouvement BDS.

Haidar Eid

 

Conseiller politique d’Al-Shabaka, Haidar Eid est professeur associé de Littérature Postcoloniale et Postmoderne à l’université al-Aqsa de Gaza. Il a beaucoup écrit sur le conflit arabo-isaélien, dont des articles publiés par Znet, Electronic Intifada, Palestine Chronicle et Open Democracy. Il a publié des essais sur les Études culturelles et la littérature dans quantité de journaux, dont Nebula, le Journal d’Etudes américaines en Turquie, Cultural Logic et le Journal de Littérature comparée. Haidar est l’auteur de Wording Postmodernism : Interpretive Possibilities of Critical Theory et Countering The Palestinian Nakba : One State For All.

 

Traduction : J. Ch. pour Campagne BDS

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *