Théâtre « Le Musée » du Palestinien Bashar Murkus. Huis clos sur la manipulation

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                                                 AU THÉÂTRE DES 13 VENTS MONTPELLIER LES 18 ET 19 NOVEMBRE 2021
Dans le cadre de la 75e édition du Festival d’Avignon en juillet, la création théâtrale palestinienne était présente pour la première fois dans l’histoire du festival, avec Le Musée de Bashar Murkus, créé le 14 novembre 2020 au théâtre Khashabi à Haïfa. Pour la première fois également, le travail du dramaturge était sur une scène française.

 

Khulood Basel

Bashar Murkus est une figure majeure de la création théâtrale palestinienne. Ses productions ont déjà été programmées en Europe1. Il est l’un des auteurs de théâtre palestinien les plus programmés sur les scènes internationales. Son absence des scènes françaises, dans un contexte où la création théâtrale en arabe suscite un intérêt croissant, particulièrement depuis une décennie2 peut en partie s’expliquer par la difficulté des propositions théâtrales palestiniennes à sortir des réseaux militants3 qui s’attachent avant tout à la diffusion la culture palestinienne pour sa reconnaissance plus que pour ses qualités esthétiques et poétiques.

Les représentations du Musée à Avignon inaugurent une série de dates pour cette pièce en France (Montpellier) et pour Hash (Vitry, Bastia, Paris), une autre production de Bashar Murkus. Cela contribuera peut-être à changer la place de la création palestinienne sur les scènes et au sein des institutions théâtrales françaises. C’est aussi ce que Le Musée revendique : l’émancipation des Palestiniens et particulièrement des artistes palestiniens des images qui leur sont imposées et qui les enferment encore dans une condition produite par un imaginaire étranger.

Le Musée met en scène deux personnages, celui d’un inspecteur de police (incarné par Henry Andrawes), et celui d’un condamné à mort (interprété par Ramzi Maqdissi) pour avoir commis un attentat sept ans auparavant dans un musée, ayant fait cinquante victimes : un groupe d’élèves en sortie scolaire et leur enseignante. Dans le huis clos de la cellule de la prison, la pièce se déroule au cours des derniers moments de la vie du condamné, entre une semaine et quelques instants avant l’exécution de la peine capitale. L’espace et le temps sont limités par les murs de la prison et par la mort programmée du condamné. La dimension spatio-temporelle inscrit d’emblée la pièce dans un sentiment d’oppression. L’histoire de l’attentat commis dans un musée est très rapidement écartée par un dispositif qui se déploie tout au long de la représentation, impliquant aux côtés des deux acteurs sur le plateau le metteur en scène et le public. Dispositif global, il repose sur l’oppression et la manipulation, qui s’alimentent entre elles et sur plusieurs niveaux.

Sous l’œil de la caméra

La manipulation et l’oppression sont matérialisées dans le texte et sur la scène par la caméra. Dès le début, elle est évoquée comme l’objet qui a permis à l’inspecteur de police de mener l’enquête. La caméra de surveillance installée au musée a permis de mettre au jour la vérité de l’acte criminel et de procéder à l’arrestation du meurtrier sept ans auparavant. Elle représente la vérité et la loi. Mais alors que le spectacle évolue, une caméra sur scène est manipulée par l’inspecteur de police, toujours au nom de la vérité qu’elle incarne. Il filme le visage et le corps du condamné sous différents angles et procède parfois à des zooms pour ne capter que quelques parties. Ces images sont projetées, quelquefois simultanément, à différents endroits du plateau et en fond de scène. La salle est séparée du plateau par un écran sur lequel sont projetées ces images. Le spectateur assiste alors, derrière leur projection en direct, à leur fabrication.

La fabrication des images et leur utilisation à des fins de manipulation font de la caméra un objet ambigu. D’objet au service de la justice, la caméra devient un outil d’oppression, une arme. Cette ambivalence est également supportée par la parole qui permet au condamné de se placer dans une position de force vis-à-vis de l’inspecteur :

L’inspecteur de police : Quelle est l’erreur que tu as commise ?
Le condamné : Si tu veux entendre une réponse, faut que t’apprennes à te taire.
L’inspecteur de police : Bien sûr, je veux une réponse.

Alors que la pièce évolue et que le moment de la mort du condamné approche, la domination qu’il exerce sur l’inspecteur ne cesse de prendre de l’importance. Une demi-heure avant son exécution, c’est lui qui mène un véritable interrogatoire sur la vie personnelle du policier. Il lui pose une longue série de questions sur sa femme (ses goûts, son métier, leur histoire et leur intimité) et sur son fils (son âge, son physique, son caractère et la nature de leur relation). Ces procédés d’inversement participent à une mise à l’épreuve du public, ébranlé dans ses propres croyances autour de concepts tels que la violence, la vérité, le pouvoir, l’oppression, la vie et la mort. La remise en question est telle que le terroriste apparaît comme une image christique (voir la photo d’illustration).

Dans ce jeu avec les images et la confusion des repères, le spectateur ne sait plus où est le bien et où est le mal. En se jouant du public, Bashar Murkus prend à son tour la place du manipulateur. Le public devient la victime de ce jeu qu’est la représentation. Éprouvé physiquement par le son et l’image, le spectateur est alors gagné par un sentiment d’oppression tant certaines scènes peuvent être difficiles à supporter et qui le met à l’épreuve psychologiquement aussi.

Pouvoir et violence des images

Ainsi, dans Le Musée, la violence est avant tout causée par les images et leur force manipulatrice. Elle réside dans le désir qu’elle suscite de regarder ces images et dans leur fabrication. L’inspecteur annonce au condamné :

Ici, tu es entre nos mains. Nous décidons comment tu mourras. Dans ce magnifique bâtiment où ton séjour est sur le point de se terminer, nous décidons de ce qui sort. Nous te voulons en parfaite forme sur le lit d’exécution. Devant les témoins, les familles de ceux que tu as tués de sang-froid. Devant les caméras. Nous orchestrerons ta dernière image. Et nous la signerons.

Il prononce ces mots dans un micro face au public et dos à son interlocuteur, renforçant la théâtralisation de l’acte de violence donnée à voir. Ainsi, la violence est générée par le spectaculaire :

À 0 h 30, les témoins officiels et les familles des victimes arriveront. Ils seront emmenés dans la salle des témoins par des officiers d’escorte. Ils seront assis devant la fenêtre, les stores toujours fermés. (…)
Veux-tu que je te parle de cette salle ?
Tu ne la verras pas du tout, ni personne d’autre. Sa fenêtre ne montre l’action que d’un côté. Ainsi, la personne qui exécute l’opération reste anonyme.
À 1 h 10 du matin, les caméras sont allumées.
Les stores de la salle des témoins sont ouverts.

Le spectaculaire réside dans la présence d’un public dédoublé, celui de l’exécution et celui de la représentation. Bashar Murkus pose la question : sans public, la violence existe-t-elle ? On comprend alors que le titre fait référence au lieu de l’attentat et à la mise en scène de la violence dans la prison et pour l’exécution. Cette question met au jour le lien exprimé dans la pièce entre la violence et l’art, symbolisé par l’espace du musée, qui sans spectateurs semblent ne pas exister.

La création palestinienne à l’international

Déclinée sous plusieurs formes ––verbale, physique, psychologique – la violence est au cœur du Musée. Cependant, la pièce procède d’une réflexion plus large et sur le long terme. En effet, la recherche menée pour la création du Musée s’inscrit dans un processus débuté dès la fondation du Khashabi, premier théâtre palestinien indépendant financièrement en Israël, en octobre 2015. À ce moment et dans un contexte de menace sur la création palestinienne en Israël, la question de son indépendance dans la ville de Haïfa s’est d’abord posée aux membres fondateurs du théâtre. Une première saison (2015-2016) a été consacrée à la ville de Haïfa puis à la question de l’identité (2016-2017), à celle des marges (2017-2018) et finalement à celle de l’extrémisme (2018-2019). De la réflexion menée dans le cadre de ces saisons est née l’idée de créer une pièce sur le terrorisme et sur la violence4. Khashabi cherche avant tout à traiter, par la création, des sujets au cœur des problématiques vécues par la communauté palestinienne en Israël.

Mais, à la différence des précédentes créations de Khashabi, Le Musée ne comporte aucune mention de géographie ou même de temps : rien ne laisse donc entendre qu’elle se déroule dans l’espace israélo-palestinien à la période contemporaine. Pourtant, des interprétations du spectacle ont voulu y voir une réflexion sur le « terrorisme islamiste »5. Sans juger de ces interprétations, cela témoigne des attentes inévitables – essentiellement générées par les images produites sur la Palestine – dont les Palestiniens cherchent à s’émanciper en donnant à leurs œuvres une dimension universelle.

Et pourtant, Le Musée s’inscrit bien dans cette édition du Festival d’Avignon « du retour à la vie et à la célébration de la vie », affirmait son directeur Olivier Py dans une conférence de presse bilan, à Avignon, le 24 juillet 2021. Les mots de l’inspecteur de police sonnent comme un écho aux promesses tenues par l’édition de 2021 : « Si le passé était un homme, je l’aurais massacré ». Ils confirment la place du Musée dans les questionnements portés sur les scènes internationales.

Najla Nakhlé-Cerruti

Agrégée d’arabe et actuellement chercheure à l’Ifpo/Jérusalem et territoires palestiniens. Ses recherches portent sur la… (suite)

https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/le-musee-du-palestinien-bashar-murkus-huis-clos-sur-la-manipulation,4977

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