Comment sauver la « démocratie » israélienne ?

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L’occident dont les medias mainstream ignorent superbement l’intensification des violences criminelles du nouveau gouvernement israélien contre le peuple palestinien, se passionne pour le mouvement israélien et ses manifestations pour sauver “la démocratie” en Israël. Tous est bon pour “blanchir” les 75 années d’apartheid dont les partisans de ce mouvement sont pourtant responsables. Heureusement que contre vents et marées quelques rares journalistes israéliens dévoilent les impostures de ce mouvement dans le seul journal israélien (Haaretz) qui ose les publier.

Jour après jour, Gideon Levy mène cette bataille. Nous saluons son honnêteté, sa lucidité et son courage. (NDLR).

 

La protestation israélienne contre le coup d’État judiciaire présente des caractéristiques militaristes

Gideon Levy, 23 juillet 2023

C’est (aussi) l’histoire d’une armée qui avait un État. Un gouvernement est venu annuler les ordres du gouvernement de l’État de l’armée, et l’armée s’est alors soulevée pour protester contre le gouvernement.

Même après la spectaculaire marche vers Jérusalem, dont on n’a jamais vu l’équivalent ici, on ne peut pas se tromper sur le caractère militariste de la protestation, qui éclipse ses fondements civils.

Cette protestation a pris les couleurs kaki vif et trop bleu de l’armée de l’air israélienne. Son langage est militaire, la plupart de ses dirigeants sont d’anciens militaires. Le refus de servir est son arme la plus efficace, et son but ultime est de maintenir l’État tel qu’il était auparavant.

Alors qu’Israël semblait avoir mûri et s’être sevré de ses maladies infantiles militaristes, de son adoration des généraux et du culte du service militaire, le mouvement de protestation est venu démontrer que le militarisme n’a pas disparu.

Au contraire, elle a atteint de nouveaux sommets. Il n’y a pas de meilleure preuve que celle-ci: Lorsqu’une contestation démocratique émerge enfin, elle repose sur des bases militaires. C’est une zone militaire, même si elle n’est pas fermée.

Il n’y a pas de contraste plus grand que celui qui existe entre l’armée – une organisation manifestement non démocratique – et la démocratie. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de démocratie avec une armée, ou qu’une armée est nécessairement anti-démocratique. Mais l’armée est-elle la gardienne de la démocratie? Sommes-nous comme la Turquie? Où nos généraux ont-ils appris les règles de la démocratie, dans les bases militaires? Dans la casbah de Naplouse? Dans la tyrannie militaire sur un autre peuple, qui a été leur principale occupation pendant des décennies?

Israël est allé encore plus loin. Même les anciens chefs de ses services secrets sont les protecteurs de sa démocratie. Des personnes dont la vocation est l’abus, dont la routine consiste en des détentions politiques et des assassinats, l’extorsion cruelle et l’exploitation des faiblesses d’un grand nombre de personnes, des interrogatoires sous la torture ainsi que des enlèvements sans aucun contrôle judiciaire, sont aujourd’hui les encadreurs de la protestation démocratique.

Nadav Argaman, Yoram Cohen et Yuval Diskin sont aujourd’hui à l’avant-garde de la lutte pour la démocratie, après avoir dirigé une organisation qui utilise les tactiques de la Stasi dans les territoires; ce sont eux qui nous expliquent à quel point la démocratie est précieuse.

Ecoutez le jargon militaire: le «front» et le «quartier général» du mouvement de protestation, la «coalition des tire-au-flanc» (de Benjamin Netanyahou), la protestation des pilotes et la conférence de presse «dramatique» de samedi soir de toutes les organisations de réservistes du mouvement de protestation. Il est impossible d’échapper à la présence de militaires de carrière au sein de sa direction: Ehud Barak et Dan Halutz, «frères d’armes» dans leurs chemises brunes; d’autres organisations dont l’identité est fonction du service militaire de ses membres ainsi que les associations et pétitions des vétérans des unités qui sont leurs marqueurs d’identité les plus importants et les plus impressionnants. L’ensemble de la manifestation est peint aux couleurs de l’armée.

Même le vieux-nouveau sauveur qui a fait son apparition ce week-end, le ministre de la défense Yoav Gallant, est un ancien général, le commandant de l’opération «Plomb durci» et un homme de droite. Où Gallant a-t-il appris la démocratie? Dans le district de Zeitoun, à Gaza, où, en tant que chef du commandement sud de l’armée, il a été responsable de l’assassinat de 23 membres de la famille Samouni et du meurtre de quatre femmes et jeunes filles de la famille al-Aish?

Peut-être Gallant a-t-il changé de couleur et est-il désormais un démocrate dans l’âme, le John Locke israélien. Mais le fait qu’il soit devenu l’espoir du camp libéral raconte toute l’histoire. Il est fascinant de constater que l’efficacité de la protestation découle en grande partie de son caractère militariste. Que les médecins fassent grève, que les chefs d’entreprise se réunissent, que les professeurs d’université défilent, que les entrepreneurs et les employés de la haute technologie menacent, que les poètes et les auteurs signent des pétitions.

En fin de compte, ce sont les généraux qui arrêteront le coup d’État judiciaire. Si cela n’illustre pas la nature de la société israélienne, qu’est-ce qui pourrait le faire? Il est juste de saluer les manifestants, surtout après le week-end dernier et ses images inquiétantes. Mais il ne faut pas oublier que le salut est aussi un acte militaire typique.

«J’ai un fils à Hawara, et voilà ce qu’ils nous font», s’est écrié un manifestant à Tel Aviv ce week-end, enveloppé dans un drapeau israélien, face aux jets d’un canon à eau de la police. Il a un fils qui opprime les Palestiniens au poste de contrôle de Hawara, il en est fier, et c’est pour cela qu’il se bat pour la démocratie.

 

Traduction Thierry Tyler-Durden

Article originel en anglais sur le site du journal Haaretz

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