Dans cette confrontation avec l’Israël de l’apartheid, les Palestiniens ont gagné

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Les proches du défunt brandissent un drapeau palestinien lors des funérailles de Mohammad Kiwan, jeune Palestinien de 17 ans ayant succombé à ses blessures après avoir été abattu par les forces israéliennes, dans la ville à majorité palestinienne d’Umm al-Fahm, dans le nord d’Israël, le 20 mai 2021. (Ahmad Ghafabli/AFP)

 

L’unité dont les Palestiniens ont fait preuve ces dernières semaines marque la montée d’une nouvelle conscience nationale.

Haidar Eid – 31 mai 2021 – Al Jazeera

Haidar Eid est professeur associé à l’Université Al-Aqsa de Gaza.

 

Après la dernière attaque génocidaire par l’Israël de l’apartheid, de sérieuses questions se sont soulevées une fois encore, sur l’utilité de la résistance et sur la question de savoir si l’issue de cette guerre peut, ou ne peut pas, être considérée comme une victoire pour le peuple palestinien. Ces mêmes questions s’étaient déjà posées en 2009, 2012, et 2014, quand Israël a lancé des attaques massives contre la bande de Gaza, et même lors de la Grande Marche du Retour non violente, en 2018, alors que les Palestiniens se dirigeaient vers la clôture qui entoure la bande de Gaza et que certains ont été abattus par les tireurs embusqués israéliens.

Certains « libéraux » ont recouru aux proclamations habituelles, accusant les « deux côtés du conflit » – c-à-d le colonisateur et le colonisé, et concluant que les Palestiniens devaient cesser de lancer des roquettes depuis Gaza.

Une fois encore, nous avons été interpellés par ces mêmes voix « neutres » à propos de la définition même de résistance. Elles refusent de voir, pour des raisons idéologiques, que la résistance, au sens large, n’est pas seulement la capacité de se défendre contre un oppresseur militairement plus puissant, mais elle est aussi celle de résister de façon créative à la colonisation de sa terre. Ces voix ne veulent pas comprendre le pouvoir qu’ont les peuples, dans notre cas, le « sumud » (ténacité), ou même voir qu’il existe.

En d’autres termes, elles acceptent le récit d’Israël, où il y a « deux côtés au conflit » à égalité de puissance militaire et de statut moral. Elles rejettent la réalité, à savoir qu’il s’agit d’un projet colonialiste et d’apartheid soutenu par l’Occident, auquel le peuple palestinien est en train de résister. Elles ignorent également toutes nos « armes » morales : que nous sommes le peuple originaire de la terre, que le droit international soutient nos revendications, que nous avons une position morale élevée et, de plus en plus, le soutien de la société civile internationale, entre autres.

Edward Saïd a dit un jour que l’intellectuel est censé être « quelqu’un qui ne peut pas facilement être coopté par les gouvernements ou les entreprises, et dont la raison d’être est de représenter toutes les personnes et les questions qui sont systématiquement oubliées ou escamotées ».

Ces voix « libérales » qui ont condamné la « violence » palestinienne dans la récente confrontation avec l’Israël de l’apartheid sont anti-intellectuelles. Elles refusent de voir que les Palestiniens sont capables d’être des agents de changement dans leur présent et leur avenir. Elles sont idéologiquement incapables de reconnaître l’agence palestinienne parce qu’elles refusent de respecter la volonté du peuple telle qu’exprimée dans le soutien populaire apporté à la résistance sous ses différentes formes – à Gaza, en Cisjordanie et dans les zones occupées par Israël lors de sa création en 1948.

Elles sont tout aussi incapables de voir la victoire palestinienne sur l’Israël de l’apartheid dans les récents évènements. Elles se rangent du côté de la classe dirigeante fasciste israélienne qui croit avoir « gagné » parce qu’elle a tué un nombre important de « terroristes » : 253 Palestiniens, dont 66 enfants, 39 femmes, et 17 personnes âgées.

Pourtant, aucun des soi-disant « objectifs » de la guerre israélienne contre Gaza – mettre fin aux tirs de roquettes depuis Gaza, détruire les tunnels que les combattants de la résistance utilisent, et brouiller toute forme d’unité entre Jérusalem et Gaza – n’a été atteint. Les tirs de roquettes se poursuivent et le mouvement de résistance s’est révélé suffisamment fort pour répondre à l’appel à agir lancé par les Jérusalémites de Sheikh Jarrah, qui sont confrontés à un nettoyage ethnique imminent par Israël.

Comme un pilote israélien contrarié, qui a bombardé Gaza, l’a déclaré lors d’une interview pour la chaîne israélienne Channel 12 : « Je suis parti en mission pour effectuer des frappes aériennes avec le sentiment que détruire les tours est un moyen d’évacuer la frustration devant ce qui nous arrive et le succès des groupes de Gaza à nous rouer de coups… Nous avons échoué à faire cesser les tirs de roquettes et à nuire aux dirigeants de ces groupes, alors, nous avons détruit les tours ».

Mais, plus important encore, Gaza 2021 brise les mythes soigneusement façonnés et défendus avec zèle qu’Israël promeut depuis des décennies : qu’il possède l’armée « la plus morale » du monde ; que son Dôme de fer est invincible ; et que les Palestiniens ne sont que des « Arabes » qui n’ont aucune identité commune et qui renonceront à leurs prétentions à la terre une fois que les vieilles générations auront disparu.

Il est évident que ces « voix neutres » qui blâment les « deux côtés » se trouvent sous le « charme » de ces mythes, et c’est pourquoi elles considèrent la résistance palestinienne comme une violence « injustifiée » et du « terrorisme ». Mais, comme le philosophe brésilien, Paulo Freire, l’écrit dans son livre Pédagogie des opprimés :

« Avec l’établissement d’une relation d’oppression, la violence a déjà commencé. Jamais dans l’histoire la violence n’a été initiée par les opprimés. Comment pourraient-ils en être les initiateurs, s’ils sont eux-mêmes le résultat de cette violence ?… Il n’y aurait pas d’opprimés s’il n’y avait pas une situation préalable de violence pour établir leur assujettissement. La violence est initiée par ceux qui oppriment, qui exploitent, qui ne reconnaissent pas les autres comme des personnes, et non par ceux qui sont opprimés, exploités, et non reconnus ».

Il est évident pour tout le monde, sauf pour les libéraux occidentaux et l’élite israélienne qu’ils soutiennent, que les Palestiniens sont sortis victorieux des manifestations à travers la Palestine historique et de l’attaque contre Gaza.

Ces évènements ont mis fin au tristement célèbre « accord du siècle » en réaffirmant que les Palestiniens ne renonceront pas à leur revendication sur Jérusalem, qu’ils ont porté un nouveau coup dur à la solution imaginaire à deux États, qu’ils ont ramené la libération et les droits des citoyens de troisième classe d’Israël, et des cinq millions de réfugiés, en tête de l’ordre du jour de la communauté internationale. Ils ont également faire ressortir une nouvelle conscience palestinienne qui défie l’hégémonie sclérosée des Accords d’Oslo de 1993.

La nouvelle conscience formée par le sumud et la résistance palestiniens est clairement caractérisée par un rejet des conditions imposées par l’Israël de l’apartheid aux trois composantes du peuple palestinien, les habitants de Gaza et de la Cisjordanie, les Palestiniens des territoires  qu’Israël occupe depuis 1948, et les réfugiés dans les camps et dans la diaspora. Plus important encore, elle est un rejet des miettes offertes en récompense d’une bonne conduite à une minorité choisie de Palestiniens.

Il nous a été dit d’accepter l’occupation israélienne dans sa forme la plus hideuse – le mur de l’apartheid, les colonies, les check-points, les routes ségrégationnistes, les plaques d’immatriculation classées par couleur, les expulsions forcées et les démolitions de maisons, la « coordination de la sécurité », les arrestations, la torture et l’emprisonnement -, ou alors de nous voir imposé un blocus médiéval et que nous serons périodiquement bombardés jusqu’à la mort et l’oubli.

Mais la réponse de Gaza, Jérusalem, Lydda, Haïfa et du reste de la Palestine historique, a été ce printemps très claire : le peuple palestinien ne sera pas réduit aux seuls Palestiniens qui vivent dans les territoires occupés depuis 1967. Nous assistons à un changement de paradigme, passant d’un séparatisme, tel qu’il est représenté par la solution à deux États – laquelle vise à établir un bantoustan palestinien et à nier les droits de millions de Palestiniennes et Palestiniens à leur terre -, à une unité palestinienne totale.

Certes, la victoire palestinienne a été très coûteuse, mais c’en est une qui est décisive. Le peuple palestinien a vaincu un régime d’apartheid armé jusqu’aux dents et son Dôme de fer, de fabrication états-unienne, en brisant son propre « Dôme mental ». La Palestine après Gaza 2021 ne sera pas comme la Palestine d’avant. Les Palestiniens ont commencé à décoloniser leur esprit en s’éloignant du « processus de paix » et de la solution raciste à deux États, et, avec leur sumud, ils ont mis à genoux l’arrogant régime sioniste en Palestine.

Traduction : BP pour BDS France Montpellier

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