Eurovision 2019: dernier appel de Gaza

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Qu’est-ce que cela fait de chanter si près de tant de misère humaine et de tant de souffrance ?

Par Haidar Eid, 17 mai 2019

Un chanteur palestinien joue pendant un événement appelant au boycott de l’Eurovision sur les décombres d’un immeuble récemment détruit par les raids aériens israéliens sur Gaza le 14 mai [Reuters/Mohammed Salem]

Chère Madonna, chers concurrents de l’Eurovision 2019,

Vous avez jusqu’à présent décidé d’ignorer plusieurs demandes de respecter le piquet de grève palestinien. Le 9 mai, des organisations culturelles et des artistes de Gaza ont lancé un appel fort demandant de boycotter la compétition par respect pour les deux bébés et les deux femmes enceintes tués avec 23 autres Palestiniens dans le dernier assaut violent d’Israël sur la Bande de Gaza.

En plus des appels répétés des Palestiniens et de leur mouvement de Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), des dizaines de milliers de personnes en Europe et dans le monde entier ont signé des pétitions réitérant l’appel à #BoycottEurovision2019 à Tel Aviv et vous ont demandé d’arrêter de blanchir l’occupation et l’apartheid par votre art. Mais tout ceci est tombé dans les oreilles de sourds !

Il est possible que vous vous en moquiez, il est possible que vous croyiez en la propagande d’Israël selon laquelle nous sommes tous des terroristes et les attaques sur Gaza des « opérations de sécurité ». Certains d’entre vous ont évoqué vouloir soutenir la paix, mais si vous le faisiez vraiment, alors vous ne seriez pas en train de chanter en Israël.

Laissez moi vous dire ce que soutenir la paix signifie réellement.

Cela signifie affirmer le fait que la Palestine est sous occupation et qu’ Israël a violé de nombreuses résolutions des Nations Unies appelant au retrait de ses troupes hors des territoires palestiniens. Cela signifie reconnaître qu’Israël et ses colonies illégales opèrent avec un régime apartheid où les Palestiniens sont ségrégués, surveillés, opprimés et tués pour les mater. Cela signifie reconnaître qu’Israël a été bâti sur une terre dont la population autochtone originelle a été ethniquement nettoyée et dépossédée par la violence.

Le lieu même où vos hôtes vous font chanter, l’Expo Tel Aviv, a été construit sur les ruines du village palestinien Al-Shaykh Muwannis, qui comme 530 autres a été complètement rasé en 1948 pour faire place aux colons venant de vos pays en Europe. Nous, les six millions de Palestiniens réfugiés éparpillés dans le monde entier, sommes la preuve vivante que la Palestine était une terre florissante et civilisée avant l’arrivée des sionistes européens.

Les rares Palestiniens qui furent capables de rester dans leur pays et à qui fut accordée la citoyenneté israélienne sont confrontés à plus de 50 lois discriminatoires qui font d’eux des citoyens non-égaux. En fait, l’an dernier, Israël a finalement reconnu officiellement l’apartheid qu’il a imposé depuis des décennies sur les non-Juifs à l’intérieur de ses frontières en se proclamant lui-même un état juif. Mais même avant cette déclaration, les combattants anti-apartheid comme Nelson Mandela et l’archevêque Desmond Tutu ont maintes fois comparé Israël à l’Afrique du Sud et ont dit que les parallèles sont clairs.

Si l’Europe a agi et a boycotté le régime raciste meurtrier de l’Afrique du Sud de l’apartheid, pourquoi ne faites-vous pas la même chose avec Israël ? Pourquoi insistez-vous pour récompenser les coupables du deuxième plus grave crime contre l’humanité, l’apartheid ?

Pourquoi prétendez-vous ne pas voir la colonisation de la Palestine ? Au cours des derniers jours, vous avez chanté à tout juste quelques kilomètres d’un vaste réseau d’infrastructure et de checkpoints ségrégationnistes qui séparent de la population palestinienne les quelques 650000 colons juifs qui vivent dans des colonies illégales construites sur des terres palestiniennes occupées. Pendant ce temps, les vrais propriétaires de la terre en Cisjordanie n’ont aucun état pour les protéger, aucun droit aux ressources du pays, y compris l’eau, aucune liberté réelle de mouvement, et aucune perspective économique réelle de vivre une vie digne.

Près de là, juste à 60km au sud d’où vous allez chanter est aussi mon foyer, Gaza, qui depuis 12 ans vit sous un blocus médiéval. Il a été comparé à un camp de concentration et à une prison à ciel ouvert, mais je voudrais vous dire que c’est bien pire. Nous luttons pour vivre sans accès à de l’eau potable et avec seulement quelques heures d’électricité par jour ; nos enfants souffrent de malnutrition et nos malades meurent à un taux inimaginable faute de médicaments et d’un traitement convenable.

Israël a mené contre nous trois guerres majeures dans les dix dernières années, tuant des milliers de personnes dans un bombardement sans discrimination par des avions de combats construits aux Etats-Unis. Après chaque conflit, des organisations internationales parlent d’ordinaire de reconstruction. Dans notre cas, elles ne le font pas. Après chaque violent assaut israélien, nous ne pouvons pas reconstruire parce qu’il n’y a ni béton, ni matériaux de constructions de base, ni fournitures électriques.

Tout ceci constitue un « punition collective » et sous la Convention de Genève, c’est un crime de guerre — un des nombreux qu’Israël commet quotidiennement.

D’ici l’an prochain, selon les Nations Unies, Gaza deviendra inhabitable.

Qu’est-ce que cela fait de chanter et de danser si près de tant de misère humaine et de tant de souffrance ? A seulement 60 km d’un lieu qui ne peut plus soutenir la vie humaine, mais qui contient deux millions de personnes sous le confinement imposé par votre hôte ?

Cela veut-il dire quelque chose pour vous ?

Avec une précision brutale, nous avons été déracinés, humiliés aux checkpoints, emprisonnés sans charge, privés de notre héritage et de nos sites religieux, privés de notre liberté de nous déplacer et de voir les membres de notre famille, privés d’eau, de terres arables et de moyens d’existence, privés de nos rêves de vie normale. Tout le long, vous et le reste de l’Europe, vous avez simplement regardé, vous n’avez rien fait, même si ce sont les puissances européennes qui nous ont apporté cette souffrance il y a soixante-dix ans.

Mais il n’est pas trop tard. Vous pouvez encore faire quelque chose.

Vous pouvez vous lever contre l’apartheid et l’occupation, vous pouvez vous lever pour les droits humains de base et l’égalité et vous pouvez refuser de chanter sur les ruines d’un village palestinien une nuit de plus. Vous pouvez soutenir un des nombreux rassemblements pour une Eurovision sans apartheid qui ont lieu partout en Europe. Vous pouvez soutenir BDS et appeler les autres à le faire.

Ceci est notre dernier appel.

Rappelez-vous vos pairs de la génération précédente qui se sont levés courageusement contre l’apartheid sud-africain et ont soutenu le mouvement de boycott. Comme eux, vous pouvez vous tenir du bon côté de l’histoire et boycotter aujourd’hui Israël !

A propos de l’auteur

Haidar Eid est maître de conférence à l’université Al-Aqsa de Gaza.

Catherine G. pour BDSF34 Montpellier

Source: Al Jazeera

 

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