La question de la violence

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Un proche endeuillé tenant une arme aux funérailles de Salah Al-Buraiki, âgé de 19 ans, qui a été tué dans les affrontements avec les forces israéliennes le 21 octobre 2022 dans la ville de Jénine en Cisjordanie. L’arme porte un autocollant avec le logo de la Brigade des Martyrs d’Al-Aqsa. (Photo : Ahmed Ibrahim/APA Images)

Par Mitchell Plitnick

le 22 octobre 2022

L’utilisation de la violence est une tragédie, dans tous les cas. Mais c’est encore plus tragique de ne l’autoriser qu’à l’oppresseur tout en l’interdisant à l’opprimé.

 

En 1993, l’échange de lettres entre le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le Président de l’Organisation de Libération de la Palestine Yasser Arafat a officiellement ouvert la période Oslo de négociations sans fin, l’extension des colonies israéliennes et une intensification de l’occupation qui finiraient par détruire toute possibilité de la solution à deux États qu’envisageaient ceux qui soutenaient Rabin et Arafat.

Dans sa lettre à Rabin, Arafat a explicitement renoncé à la résistance violente à l’occupation israélienne :

« Par conséquent, l’OLP renonce à l’utilisation du terrorisme et autres actes de violence et assumera sa responsabilité sur tous les éléments de l’OLP et tout le personnel de l’OLP afin d’assurer leur conformité, prévenir les violations et punir les transgresseurs. »

Ces mots ont fait naître l’espoir que les Palestiniens n’emploieraient que des moyens non violents pour résister à l’occupation, la dépossession et l’apartheid israéliens. Cette idée de restreindre la violence ne s’adresse qu’aux Palestiniens. Israël, étant un État et par conséquent perçu comme ayant le monopole d’un État sur la violence, est jugé selon une norme différente.

Bien qu’en Occident, la terminologie utilisée pour défendre la violence israélienne s’exprime presque toujours en termes d’autodéfense, l’idée que les Palestiniens pourraient eux aussi se défendre est rarement considérée dans des termes similaires. Les Palestiniens sont condamnés chaque fois qu’ils utilisent des moyens violents, même quand ils jettent des pierres sur des soldats israéliens dans des blindés. Israël, qui utilise une violence bien plus grande et qui, étant données ses capacités techniques bien plus importantes, a beaucoup moins d’excuses pour le nombre immensément plus élevé de victimes civiles et non combattantes qu’il cause, est, au mieux, critiqué pour un usage « excessif » de la force.

La prétention d’Israël à l’autodéfense quand il utilise une violence massive policière et militaire est efficacement démentie dans un article de 2012 de la Professeure Noura Erakat, actuellement à l’Université Rutgers. Erakat a argumenté de façon convaincante qu’ « Un État ne peut simultanément exercer son contrôle sur un territoire qu’il occupe et militairement attaquer ce territoire sous prétexte qu’il est ‘étranger’ et représente une menace exogène pour la sécurité nationale. En agissant précisément ainsi, Israël fait valoir des droits qui peuvent être compatibles avec une domination coloniale, mais qui n’existent simplement pas selon le droit international. »

Une décennie après qu’Erakat ait écrit ces mots, Israël utilise couramment la force armée dans des raids quotidiens sur les villes et villages palestiniens ; ses soldats travaillent en tandem avec les colons pour attaquer les Palestiniens et dévaster leurs vies et leurs biens ; et il poursuit le verrouillage permanent de quantité de zones de Cisjordanie ainsi que son siège de Gaza dans des actions qui sont une menace pour la vie, l’intégrité physique, et une dévastation économique d’une telle ampleur qu’on ne peut les considérer autrement que comme de la violence extrême.

Rien de nouveau là-dedans ; ce sont les caractéristiques de l’oppression des Palestiniens par Israël et de la résistance palestinienne à cette oppression visible depuis des décennies. Mais la réponse palestinienne entre maintenant dans une nouvelle phase.

Un nouveau groupe armé palestinien, Areen al-Usud (la Fosse aux Lions) a émergé en Palestine. Affiliée à aucun parti politique, Areen al-Usud a attaqué les forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie. D’autres nouveaux groupes armés, comme la Brigade de Jénine, ont aussi mené des attaques contre les forces israéliennes. Ces attaques ont soulevé des applaudissements et un soutien populaires.

Alors qu’on ne sait pas encore très bien ce que cela signifie pour les semaines et les mois à venir, l’émergence de ces groupes et le soutien public qui leur est démontré en Cisjordanie rend plus que vraisemblable que la question de l’utilisation de la violence par les Palestiniens va une fois de plus prendre une place plus importante dans le discours autour de la Palestine aux Etats Unis et en Europe.

Les termes de cette discussion s’accumulent contre les Palestiniens avant même que le débat ne commence. On en a vu un exemple clair rien que la semaine dernière, quand le porte-parole du Département d’État Vedant Patel a condamné la violence entre Israéliens et Palestiniens, disant que « les morts des soldats et des enfants sont tout autant inacceptables ».

L’équivalence obscène entre le meurtre d’un soldat israélien et celle d’un enfant palestinien est l’élément clé d’une perspective dans laquelle la résistance palestinienne est vue par les États-Unis. Un enfant palestinien est un civil et est protégé par la loi contre la violence des conflits. Un soldat d’occupation est un combattant. Pourtant, comme nous l’avons vu récemment, Israël traite un soldat en service comme une victime innocente de ce qui est présenté comme la violence insensée palestinienne.

Le 8 octobre, le combattant palestinien Udai Tamimi a tué par balle Noa Lazar, soldate israélienne stationnée à un checkpoint près du camp de réfugiés de Shu’fat en Cisjordanie. La mort de Lazar est de mon point de vue, une tragédie. Sacrifiée sur l’autel de l’apartheid, Lazar a été envoyée en Cisjordanie dans le cadre d’une armée d’occupation et, malheureusement, cela signifie qu’elle est sans ambiguïté une cible de la résistance palestinienne.

Il ne s’agit pas ici de quelque classification politique, c’est l’essence même du droit humanitaire international : le principe de distinction, qui prescrit que les cibles légitimes sont celles qui font partie des forces armées d’une des parties à un conflit. Appeler Tamimi un terroriste pour cette attaque n’est qu’une fausse définition d’une action de combat contre une cible militaire. On peut facilement éviter ce genre de tragédie en mettant fin au régime qui dénie aux Palestiniens leurs droits fondamentaux, un régime qui a besoin d’utiliser des forces armées pour imposer le déni de ces droits et qui fait de ces forces armées des cibles légitimes de la violence.

Les forces israéliennes arrêtent un manifestant palestinien au cours des protestations dans la ville d’Hébron en Cisjordanie après l’exécution d’Udai Tamimi, le 20 octobre 2022. (Photo : Mamoun Wazwaz/APA Images)

 

Combattre la non-violence

La nature de la résistance est telle que la violence bénéficie de beaucoup plus d’attention que la non-violence. En fait, la non-violence peut être très frustrante et contraignante, précisément parce que c’est une forme de résistance qui exige souvent que le monde y fasse attention. Protester et résister avec simplement de la détermination ou de la désobéissance civile laisse souvent ceux qui s’y engagent malmenés, meurtris, emprisonnés, hospitalisés, ou même morts, et pourtant, il n’y a souvent pas de réponse immédiate.

Les Palestiniens ont utilisé la non-violence constamment depuis le commencement même de leur conflit avec le sionisme. En tant qu’érudit palestino-américain, Yousef Munayyer a dit : « La vérité, c’est qu’il y a une longue et riche histoire de la résistance non-violente palestinienne qui remonte bien avant 1948 quand l’État d’Israël s’est établi au-dessus d’une Palestine dépeuplée. Elle n’a simplement jamais capté l’attention du monde comme l’ont fait les actions violentes. »

Cependant, il arrive que des actions de résistance non violentes attirent l’attention de nombreuses personnes. Quand les Palestiniens ont fait pression pour la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État par les Nations Unies et ont sollicité le statut de non-membre, Israël et les États-Unis ont observé et réagi hystériquement. Chaque fois que l’Autorité Palestinienne s’est adressée aux institutions internationales telles que la Cour Internationale de Justice ou la Cour Pénale Internationale, les États-Unis et Israël ont réagi de façon apoplectique.

Mais ces comportements ne sont rien comparées à la campagne massive contre le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) initié par la société civile palestinienne. La formidable énergie qu’Israël et ses soutiens à travers le monde ont dépensée pour bloquer les efforts du mouvement BDS n’ont peut-être pas freiné l’élan de BDS, mais elle a envoyé un message clair aux Palestiniens comme quoi, que la résistance soit violente ou non-violente, cela ne fait pas de différence ; ce n’est pas la nature de la résistance qui provoque le contrecoup violent ou politique contre les Palestiniens, c’est la résistance elle même qui le fait, quelle que soit sa forme.

Tandis qu’Américains et Européens discutent et débattent entre eux sur les nuances de la politique israélienne et aboutissent à toutes sortes de solutions fantaisistes au « conflit », le gouvernement israélien resserre ses griffes sur les Palestiniens et les Palestiniens deviennent encore plus frustrés, pressés d’agir et impatients face à leurs dirigeants et face au monde qui continue de leur dire que le temps n’est pas encore « mûr » pour la réalisation de leurs droits.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous voyons un soutien si étendu à la résistance armée. Peut-être est-ce simplement une réponse à l’accroissement par Israël d’une politique déjà violente d’apartheid. De toutes façons, l’action armée semble prendre un rôle plus prépondérant dans la résistance palestinienne et il sera important pour les défenseurs des droits des Palestiniens d’être prêts à défendre ces actions partout où nous le pouvons.

Il est bon de rappeler les mots de Ta-Neshi Coates à cet égard. En 2013, Coates a écrit : « …même les mots que nous utilisons face aux mouvements de liberté qui utilisent la violence sont inconséquents. Mandela et l’ANC étaient ‘terroristes’. Les révolutionnaires hongrois de 1956, l’Alliance du Nord opposée aux Talibans, les Libyens opposés à Gaddafi étaient des ‘combattants de la liberté’. Les espoirs de Thomas Friedman dans un ‘Mandela Arabe’ à un moment, et disant dans la foulée à ces mêmes Arabes de ‘s’asseoir là-dessus’.

La question n’est pas que la non-violence est une blague, mais que c’est une blague quand elle est invoquée par ceux qui gouvernent par les armes. »

Nous devons rappeler aux gens combien ils sont enthousiastes pour armer l’Ukraine, ou, en réalité, combien nous faisons l’éloge de notre propre histoire de révolution violente. Parce que beaucoup de ces mêmes personnes sont susceptibles de condamner les Palestiniens pour lever une main contre leurs oppresseurs, exactement comme tant d’entre eux ont condamné Mandela il y a des dizaines d’années.

Si souvent, ces gens ont demandé : « où est le Mandela palestinien ? » Bon, quand le président de l’Afrique du Sud de l’Apartheid, P.W. Botha, a offert la liberté à Mandela s’il renonçait à la violence, il a répliqué : « Qu’il renonce à la violence. Je ne peux pas vendre mon droit de naissance, et je ne suis pas non plus préparé à vendre le droit de naissance des gens pour être libre. »

C’est la même chose pour les Palestiniens.

L’utilisation de la violence est une tragédie, dans tous les cas. Mais c’est encore plus tragique de ne l’autoriser qu’à l’oppresseur tout en l’interdisant à l’opprimé.

Traduction : J. Ch. pour BDS France Montpellier

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