Six défenseurs palestiniens des droits de l’homme piratés par le logiciel espion Pegasus du Groupe NSO

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8 novembre 2021

Par : Défenseurs de Première Ligne (Front Line Defenders)

Le 19 octobre 2021, le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a annoncé la désignation de six organisations de premier plan de la société civile palestinienne en Cisjordanie occupée en tant qu’ « organisations terroristes » selon la Loi israélienne de 2016 sur l’Antiterrorisme. Les six associations désignées sont Addameer, Al-Haq, Défense des Enfants – Palestine, l’Union des Comités du Travail Agricole, le Centre Bisan pour la Recherche et le Développement, et l’Union des Comités de Femmes Palestiniennes.

Le but de cette démarche est non seulement de criminaliser ces organisations, mais aussi de couper court à leur financement et autres formes de soutien fournis par leurs partenaires et supporters internationaux. Défenseurs de Première Ligne condamne la tentative d’Israël de criminaliser le soutien apporté à des défenseurs très respectés et depuis longtemps au service des droits de l’homme et à leurs organisations, comme ils l’ont déjà fait quand d’autres mesures similaires ont été prises dans des pays comme la Russie, l’Égypte et le Nicaragua.

Alors que cette dernière démarche du gouvernement d’Israël fait partie d’une tendance alarmante destinée à essayer de faire cesser le travail des organisations de défense des droits de l’homme et des défenseurs des droits de l’homme, le calendrier et la méthode de la désignation suggèrent qu’il s’agit aussi d’une démarche pour légitimer la surveillance et l’infiltration des équipements des défenseurs palestiniens des droits de l’homme en utilisant le logiciel espion Pegasus, comme l’a découvert une enquête scientifique de Défenseurs de Première Ligne (voir l’échéancier ci-dessous).

Le 15 octobre 2021, Défenseurs de Première Ligne a été contactée par Al-Haq, organisation palestinienne de défense des droits de l’homme, à propos de l’équipement d’un membre de son personnel vivant à Jérusalem suspecté d’être infecté par un logiciel espion. Défenseurs de Première Ligne a immédiatement mené une enquête technique et à découvert que l’appareil avait été infecté en juillet 2020 par un logiciel espion vendu par le Groupe NSO installé en Israël. Défenseurs de Première Ligne a commencé à enquêter sur d’autres appareils appartenant à des membres des 6 organisations de la société civile palestinienne désignées et a découvert que cinq autres appareils avaient été piratés par le même logiciel espion. Défenseurs de Première Ligne a partagé les données collectées sur les téléphones avec Citizen Lab et Amnesty International’s Security Lab pour un examen collégial indépendant. Tous deux ont confirmé, avec un degré de confiance très élevé, la conclusion de Défenseurs de Première Ligne disant que les téléphones avaient été piratés par Pegasus.

– 16 octobre Les Défenseurs de Première Ligne contactés par Al-Haq

concernant des soupçons à propos du piratage de téléphones

– 16 octobre Le Coordinateur de Protection Numérique (CPN) des Défenseurs de Première Ligne

Mohammad Al-Maskati entame une enquête technique sur le premier dispositif

et découvre des indices du logiciel espion Pegasus

– 16 octobre Défenseurs de Première Ligne partage des données issues de journaux avec

Citizen Lab pour confirmer les découvertes

– 17 octobre Le CPN de Défenseurs de Première Ligne rencontre les représentants des

6 organisations désignées pour les informer de l’infiltration par Pegasus

et demander des dispositifs supplémentaires pour enquêter

– 18 octobre Le DDH Salah Hamouri, dont le téléphone est l’un des six qui ont été infiltrés par Pegasus, a été informé de la décision du ministre israélien de l’Intérieur de

révoquer sa résidence permanente à Jérusalem et de le déporter

en se fondant sur sa prétendue « rupture d’allégeance envers l’État d’Israël ».

– 19 octobre Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, émet un ordre exécutif

qui désigne les 6 organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme

en tant que ‘terroristes’ – Désignations N° 371 – 376

– 24 octobre Défenseurs de Première Ligne partage des données issues de journaux avec

Citizen Lab pour confirmer ses découvertes

– 25 octobre Défenseurs de Première Ligne partage des données issues de journaux avec

Citizen Lab pour confirmer ses découvertes

– 26 octobre Défenseurs de Première Ligne partage des données issues de journaux avec

CitizenLab pour confirmer ses découvertes

– 29 octobre Défenseurs de Première Ligne confirme l’infection des 6 appareils

– 29 octobre Défenseurs de Première Ligne partage des données issues de journaux et

de dossiers sortis de la sauvegarde des téléphones avec

le Laboratoire de Sécurité d’Amnesty International pour confirmer ses découvertes

– 1er novembre Haaretz rapporte que les 6 organisations restent légales en Cisjordanie

malgré l’ordre exécutif du ministre et que

« Pour qu’une organisation soit déclarée ‘association non autorisée’

en Cisjordanie, le commandant du Commandement Central des FDI doit

émettre un ordre, mais le bureau a dit qu’aucun ordre de ce genre n’avait été émis »

et que « des sources du Bureau du Procureur de l’État avaient déjà admis

qu’elles n’avaient pas l’intention de mettre en accusation

les organisations et leurs membres ».

– 2 novembre Le ministre irlandais des Affaires étrangères, Simon Coveney, confirme dans une interview avec le Jérusalem Post que l’Irlande et l’Union Européenne

« n’ont acquis aucune preuve crédible du gouvernement israélien

pour lier les ONG au terrorisme »

– 3 novembre Le Département américain du Commerce place le Groupe NSO sur sa ‘liste des entités’,

interdisant à la société d’acheter des pièces et des composants

aux sociétés américaines sans une licence spéciale.

– 4 novembre +972 Magazine et The Intercept rapportent qu’Israël espérait

qu’un document classifié de 74 pages du Shin Bet1,

que les deux organes de presse avaient obtenu,

convaincrait les gouvernements européens de cesser de financer

les associations palestiniennes de défense des droits de l’homme,

mais que cela avait échoué à cause d’un manque de « preuves concrètes ».

Ces documents reposent sur un témoignage discrédité obtenu par

la torture présumée de deux anciens employés du

Comité de Travail sur la Santé2.

Enquête & Information Technique

Défenseurs de Première Ligne a examiné 75 iPhones et découvert que 6 appareils avaient été piratés par le logiciel espion Pegasus du Groupe NSO. Citizen Lab et le Labo de Sécurité d’Amnesty International ont confirmé l’analyse de DPL. Trois victimes ont consenti à être identifiées (dans la liste ci-dessous) et trois ont souhaité rester anonymes :

1. Ghassan Halaika : enquêteur de terrain et défenseur des droits de l’homme qui travaille pour Al-Haq

2. Ubai Al-Aboudi : directeur exécutif du Centre Bisan pour la Recherche et le Développement, Ubai Al-Aboudi a la citoyenneté américaine

3. Salah Hammouri : avocat et enquêteur de terrain chez Addameer, association de Soutien aux Prisonniers et aux Droits de l’Homme qui vit à Jérusalem. Le 18 octobre 2021, le défenseur des droits de l’homme et avocat Salah Hammouri a été avisé de la décision du ministre de l’Intérieur de révoquer sa résidence permanente à Jérusalem et de le déporter en se fondant sur sa prétendue « rupture d’allégeance à l’État d’Israël ». Salah Hamouri est un citoyen français.

L’enquête menée par DPL comprenait :

* Une analyse des dispositifs de l’iPhone des 6 organisations de défense des droits de l’homme et des défenseurs des droits de l’homme de ces organisations.

* DPL a partagé les données de ses analyses, dont les découvertes impliquant le logiciel espion Pegasus, avec Citizen Lab et le Labo de Sécurité d’Amnesty International, qui ont l’un et l’autre confirmé les découvertes de DPL.

DPL a trouvé des traces des appellations des procédés associés au logiciel espion Pegasus du Groupe NSO sur les iPhones appartenant aux six défenseurs des droits de l’homme :

1. L’iPhone de Ghassan Halaika présentait des traces du procédé de Pegasus smmsgingd en juillet 2020.

2. Le téléphone d’Ubai Al-Aboudi présentait des traces des procédés de Pegasus MobileSMSd, CommsCentrRootH[…] et otpgrefd en février 2021.

3. Le téléphone de Salah Hammouri présentait des traces des procédés de Pegasus ctrlfs et xpccfd en avril 2021.

4. Le téléphone du Défenseur des Droits de l’Homme N°4 présentait des traces du procédé de Pegasus bundpwrd en avril 2021.

5. Le téléphone du Défenseur des Droits de l’Homme N°5 présentait des traces des procédés de Pegasus launchrexd, gssdp, launchafd, com.apple.Mappit, cfprefssd, libtouchregd, ABSCarrylog et contextstoremgrd en février et avril 2021.

6. Le téléphone du Défenseur des Droits de l’Homme N°6 présentait des traces du proc de Pegasus accountpfd en novembre 2020.

Le Labo de Sécurité d’Amnesty International a publié une recherche qui attribuait ces appellations de procédés au logiciel espion Pegasus du Groupe NSO. Citizen Lab a déterminé que certains de ces procédés étaient les mêmes que ceux utilisés contre d’autres défenseurs des droits de l’homme et des journalistes dans d’autres pays.

Lorsque Pegasus est installé sur le téléphone de quelqu’un, un agresseur a un accès total aux messages du téléphone, aux courriels, médias, microphone, caméra, mots de passe, appels vocaux sur les applis de la messagerie, données de localisation, appels et contacts. Le logiciel espion a également la possibilité de mettre en marche la caméra et le microphone du téléphone, et d’espionner les appels et activités d’un individu. Et ainsi, le logiciel espion permet non seulement de surveiller la cible, mais aussi quiconque entre en contact avec elle via cet appareil. Ceci veut dire que, en plus de cibler les Palestiniens, y compris ceux ayant une double nationalité, les non-Palestiniens (dont des nationaux et diplomates étrangers) avec lesquels ces victimes ont été en contact, dont des citoyens israéliens, peuvent eux aussi avoir été soumis à cette surveillance qui, lorsqu’il s’agit de ses citoyens, équivaudrait à une violation de la loi israélienne.

En juillet 2021, une enquête mondiale menée par le Washington Post, le Guardian, Le Monde et d’autres organes de presse a rapporté que le logiciel espion Pegasus avait servi à contrôler des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et des politiques à travers le monde. Le Groupe NSO a démenti les rapports selon lesquels le logiciel espion Pegasus était utilisé pour la surveillance de masse des défenseurs des droits de l’homme ; selon cette société, Pegasus n’est prévu que pour servir aux agences de renseignement du gouvernement et de lutte contre le terrorisme et le crime. En tant que telle, la désignation de ces organisations par Israël en tant queterroristes’ après que Pegasus ait été détecté, mais quelques jours seulement avant la publication de cette enquête, apparaît clairement comme une démarche pour couvrir ses actions et déconnectée de toute preuve qui discréditerait ces organisations.

Désignation ‘terroriste’ & ‘Preuve’ Discréditée

La désignation ‘terroriste’ lancée contre ces organisations pourrait permettre aux autorités israéliennes de fermer leurs bureaux, saisir leurs actifs, y compris les comptes bancaires, arrêter et emprisonner les membres de leur équipe, interférer dans leur financement international et les relations avec leurs donateurs et entraver leurs démarches pour surveiller et renseigner sur les violations exercées par le gouvernement israélien. En plus de l’impact sur ces six organisations, cette mesure, en ciblant certaines des organisations les plus anciennes et les plus respectées, ainsi que celles jouissant d’une grande réputation internationale, sert à faire peur aux autres organisations palestiniennes. Il faudrait voir cette désignation comme une offensive totale contre les défenseurs des droits de l’homme palestiniens et leur société civile, particulièrement contre leurs démarches pour parvenir à la mise en responsabilité et à la justice.

Des attaques et des campagnes contre les organisations palestiniennes des droits de l’homme et autres organisations de la société civile ont été menées depuis des années par les autorités israéliennes. Comme expliqué dans un rapport publié en avril 2021 par l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, ces pratiques se sont intensifiées au cours des six dernières années, dans le contexte du bouleversement provoqué par l’administration Trump aux États Unis et l’ouverture attendue d’une enquête par la Cour Pénale Internationale. Le rapport a trouvé que les stratégies mises en place par le gouvernement israélien ont un triple objectif : un, délégitimer les voix critiques de la société civile en les « désignant et les déshonorant » et en les étiquetant comme ‘terroristes’ ou ‘antisémites’ ; deux, faire pression sur les institutions pour qu’elles n’offrent plus de tribune aux voix et aux perspectives des Palestiniens en recherche des responsabilités et de la justice ; trois, faire activement pression pour tarir les sources de financement des organisations palestiniennes, spécialement celles qui ont fait partie des démarches de la société civile pour définir les responsabilités. Avoir recours à des mesures d’intimidation et de harcèlement, à de nouvelles lois restrictives, a du harcèlement administratif ou judiciaire et à une pression accrue sur les donateurs internationaux qui soutiennent ces organisations s’est avéré être des tactiques efficaces pour déstabiliser les ONG et affaiblir les défenseurs des droits de l’homme.

Ces tactiques ont également ciblé d’autres acteurs, dont des organisations essentielles de santé en Palestine telles que le Comité de Travail sur la Santé, qui apporte un soutien médical aux communautés vulnérables, et les détenteurs d’un mandat de l’ONU, qui jouent un rôle essentiel en dénonçant les violations israéliennes.

Défenseurs de Première Ligne condamne fermement la décision et les allégations de terrorisme portées contre ces organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme en réponse à leur travail pacifique pour défendre ces droits. Les défenseurs des droits de l’homme ne sont pas des terroristes. Cette évolution dénote une grave expansion de la politique et des pratiques systématiques d’Israël pour réduire au silence les défenseurs palestiniens des droits de l’homme à la recherche de la justice et de la responsabilité pour les violations des droits de l’homme des Palestiniens. Cette attaque met par ailleurs en grand danger l’avenir de la protection des enfants, des droits des femmes, des droits des prisonniers et la possibilité de nourrir l’information sur les violations des droits de l’homme.

Recommandations

Défenseurs de Première Ligne appelle toutes les partie prenantes – États, Organismes internationaux, entreprises et autorités chargées de faire respecter la loi à rejeter clairement et sans équivoque les accusations de terrorisme portées contre les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme et les défenseurs palestiniens des droits de l’homme.

La communauté internationale, dont l’UE et ses États membres, devrait se tenir fermement aux côtés des défenseurs palestiniens des droits de l’homme en condamnant publiquement cette agression flagrante contre le mouvement palestinien des droits de l’homme et en exhortant le ministre israélien de la Défense à abroger immédiatement la désignation des six organisations de défense des droits de l’homme en tant qu’ « organisations terroristes », montrant clairement qu’il ne faudrait jamais utiliser la législation sur l’antiterrorisme pour contraindre le travail légitime sur les droits de l’homme. L’UE et ses États membres devraient également continuer de financer ces organisations pour leurs activités légitimes sur les droits de l’homme et imiter la récente décision des États Unis de mettre sur liste noire le Groupe NSO. Défenseurs de Première Ligne appelle à un moratoire mondial immédiat sur l’exportation, la vente, le transfert et l’utilisation de la technologie de surveillance jusqu’à ce qu’un cadre réglementaire adéquat en matière de droits de l’homme soit mis en place.

__________

1 Ces documents ont été partagés avec les gouvernements européens à partir de mai 2021.

2 Le Comité de Travail sur la Santé est une organisation palestinienne dont l’activité porte sur la santé des femmes et des enfants. En mars 2021, deux de ses anciens employés ont été arrêtés par Israël – leur organisation avait précédemment mis fin à leur emploi. L’organisation a été déclarée organisation ‘terroriste’ le 22 janvier 2020, avec la même détermination que celle exercée sur les 6 organisations dans cette déclaration. Le 13 avril 2021, Juana Ruiz Sanchez, Espagnole mariée à un Palestinien et coordinatrice de projet dans l’organisation, a été arrêtée et est détenue depuis. Le 9 juin, les forces israéliennes ont fermé pour 6 mois le bureau du Comité de Travail sur la Santé. Le 7 juillet, Shata Odeh, directrice de l’organisation,

a été arrêtée chez elle, des accusations fabriquées ont été déposées contre elle et elle est toujours en détention.

Violations :

#Diffamation #Campagne de Dénigrement #Harcèlement judiciaire #Surveillance

Droits

#Droits de l’Homme #Autodétermination

Localisation

#Région : Moyen Orient et Afrique du Nord #Territoire Palestinien Occupé

DDH et Organisations

Shawan Jabarin, Salah Hammouri, Shata Odeh Abu Fannouneh, Association Addameer de Soutien aux Prisonniers et aux Droits de l’Homme, Ubai Al-Aboudi, Ghassan Halaika

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine, AURDIP et Campagne BDS France Montpellier

 

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