« Quinze ans de blocus de Gaza : ouvrez les portes de notre prison, maintenant ! »

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Des enfants palestiniens agitent des drapeaux palestiniens alors qu’ils jouent dans les décombres de bâtiments détruits par un bombardement israélien, à Khan Younis dans le sud de la Bande de Gaza, le 19 juin 2021. (Said Khatib/AFP)

Ils vont nous garder emprisonnés sur cette bande de terre, et ils continueront à nous étouffer lentement pendant 15 autres années, voire 150 si le monde ne se réveille pas et ne dit pas, « assez ! ».

 

Haidar Eid – Al Jazeera – 24 juin 2022

Haidar Eid est professeur associé à l’Université Al-Aqsa de Gaza.

 

Ce mois-ci, alors que le blocus dévastateur de la Bande de Gaza entrait officiellement dans sa 15ème année, j’ai relu le rapport explosif de David Rose, « La bombe de Gaza », pour me rappeler (comme s’il était possible de l’oublier) comment les  États-Unis et Israël ont collaboré pour transformer ma patrie en ce que même les ONGs les plus traditionnelles décrivent comme « la plus grande prison à ciel ouvert du monde ».

L’histoire, aussi choquante qu’elle puisse être, est assez simple. Début 2006, l’administration Bush aux États-Unis « a invité » gentiment la population de Gaza à se rendre aux urnes pour élire ses représentants dans l’élection d’un conseil législatif. Alors  que les Palestiniens de Gaza pensaient, comme il est d’usage dans des élections démocratiques, qu’ils auraient à voter pour des candidats qui, croyaient-ils, représenteraient au mieux leurs intérêts, ce ne fut pas le cas : Washington voulait que nous votions plutôt selon ses intérêts, et ceux d’Israël.

Ainsi, les Palestiniens ont fini par faire le « mauvais » choix, du moins aux yeux de nos oppresseurs coloniaux. Et nous sommes punis sévèrement pour cette faute depuis les 15 années passées.

Le blocus meurtrier qui nous est imposé pour avoir élu le Hamas a transformé Gaza non seulement en une prison à ciel ouvert, mais aussi en un camp de concentration : dans cette enclave autrefois magnifique, deux millions de personnes, dont près de la moitié sont des enfants de moins de 15 ans, tentent aujourd’hui désespérément de survivre sans approvisionnement assuré en eau, en nourriture, en électricité et en médicaments, ce qui est une violation flagrante du droit humanitaire international consacré par les Conventions de Genève.

Au cours des 15 années passées, alors que nous étions soumis à ce siège médiéval qui a fait de nous des prisonniers dans notre patrie, nous avons aussi enduré quatre guerres génocidaires. Plus de 4000  civils, dont de nombreux enfants, ont péri sous les bombardements israéliens, pour leur seul crime d’être nés à Gaza.

Alors que nous étions systématiquement brutalisés, mutilés, emprisonnés, et tués, la communauté internationale n’a rien fait d’autre que de rester les bras croisés – peut-être parce que la majorité d’entre nous n’a pas ce qu’il lui faudrait (les yeux bleus et les cheveux blonds) pour qu’elle en conclut que nous sommes quelque peu « civilisés », et méritant la dignité humaine.

Bien sûr, la vie à Gaza n’était pas bien meilleure avant ce blocus.

En 2000, avant le début de la Deuxième Intifada, et alors que beaucoup croyaient qu’il y avait une « paix » relative en Palestine, mon rêve d’entamer une carrière universitaire à l’Université An-Najah à Naplouse, en Cisjordanie, par exemple, a été anéanti simplement parce que j’étais un résident de Gaza.

À l’époque, Israël autorisait au moins certains Palestiniens à passer en sécurité entre Gaza et  la Cisjordanie. J’ai demandé un permis, en fournissant les documents nécessaires d’An-Najah. Une semaine plus tard, on me disait que ma demande avait été rejetée – aucune raison n’était donnée.

J’ai voulu la découvrir et je me suis rendu au check-point de Beit Hanoun (Erez) un matin à 6 heures, pour tenter d’obtenir l’accès au dossier que le Shin Bet, le service de sécurité interne d’Israël, détenait sur moi. On m’a dit de rejoindre une file d’attente et de patienter avant d’être interrogé par un officier du Shin Bet qui me dira, ou me dira pas, pourquoi je n’ai pas été autorisé à passer en Cisjordanie. J’ai attendu toute la journée. À 17 heures, quelqu’un ma juste demandé de partir sans me donner la moindre information. À ce jour, je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle ma demande a été refusée. Et depuis, je ne peux pas me rendre en Cisjordanie.

Le siège de Gaza n’a donc pas commencé il y a 15 ans. Il n’a même pas commencé il y a 22 ans, quand j’ai essayé d’obtenir ce travail en Cisjordanie. Il a commencé il y a presque 30 ans, avec la signature des Accords d’Oslo, et peut-être même avant. Israël, et ses puissants alliés comme les États-Unis, nous ont toujours, nous les Gazaouis, vus comme une gêne, une population de trop dont il leur fallait se débarrasser d’une manière ou d’une autre. Le siège que nous subissons ces 15 dernières années n’est que le dernier chapitre des efforts de nos oppresseurs pour se débarrasser de nous.

L’ancien président états-unien, Jimmy Carter, n’a pas exagéré qu’il a dit : « [Les Palestiniens de la bande de Gaza] sont traité plus comme des animaux que comme des êtres humains… Jamais auparavant dans l’histoire, une grande communauté comme celle-ci n’a été attaquée aussi sauvagement par des bombes et des missiles, puis privée des moyens de se rétablir par elle-même ».

Cette reconnaissance, rare, de notre situation par un dirigeant états-unien remonte bien sûr à plus de dix années, en 2009. Depuis lors, notre situation s’est manifestement aggravée. Et elle va continuer à se détériorer.

Je sais que les choses vont empirer parce qu’Israël, publiquement et sans honte, est en train de resserrer nos chaînes. Fin de l’an dernier, il a annoncé l’achèvement d’une barrière souterraine longue de 65 km autour de Gaza, équipée de centaines de caméras, radars, et autres détecteurs. Le projet inclurait une « clôture intelligente » haute de plus de 6 mètres et une barrière maritime qui serait équipée de dispositifs électroniques pour détecter toute infiltration par voie maritime et d’un système d’armes télécommandées. Construite avec 140 000 tonnes de fer et d’acier, Israël a mis apparemment trois ans et demi pour achever cette adjonction à la pointe de la technologie à notre prison.

Aujourd’hui, comme il l’a toujours fait, Israël a l’intention d’effacer, de détruire, et de faire disparaître Gaza et les Gazaouis. Il y a 15 ans, Israël ne nous considérait même pas comme des êtres humains, dotés d’un libre arbitre méritant dignité et liberté, et aujourd’hui, ils ne reconnaissent toujours pas notre humanité. Nous ne sommes rien d’autre qu’une gêne pour eux. Comme l’a admis le défunt Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, nous pouvons « nous enfoncer dans la mer », pour ce qu’ils en ont à faire.

Ils vont nous garder emprisonnés dans cette bande de terre, et ils continueront à nous étouffer lentement, pendant 15 autres années, voire 150 si le monde ne se réveille pas et ne dit pas, « assez ! ». Le blocus de Gaza est une tâche sur l’histoire de l’humanité. En cet anniversaire honteux, la communauté internationale est tenue d’agir et de commencer à faire ce qui est nécessaire pour ouvrir enfin les portes de notre prison.

 

https://www.aljazeera.com/opinions/2022/6/24/gaza-blockade-15-years

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine et Campagne BDS France Montpellier

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